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mercredi, 16 mars 2022

LA SERVITUDE ÉLECTRIQUE

GRAS ALAIN & DUBEY GERARD SERVITURE ELECTRIQUE.jpg

Impressions de lecture.

Je viens de refermer (7 mars) La Servitude électrique, de Gérard Dubey et Alain Gras (Seuil, 2021). Le premier est sociologue, le second est socio-anthropologue — je passe sur les détails additionnels. Ceux qui suivent un peu ce blog doivent se demander ce qui m'a pris, sachant la couleur souvent désobligeante des propos que je tiens sur les "sciences" humaines en général, et en particulier sur les "spécialistes" et autres "experts" patentés qui pondent à tour de bras ouvrages savants ou articles de revues "scientifiques", interventions décisives dans les pages "débats" ou "idées" du journal Le Monde, qui en est friand, voire gourmand.

Certains sont même invités plus souvent qu'à leur tour à venir postillonner doctement les microbes de leurs "sciences" dans les micros de la radio ou de la télévision, dans le but éminemment vertueux (défense de rire) de nous aider à comprendre ce qui se passe de par le vaste monde et jusqu'aux tréfonds intimes de nos chaumières. Autant le déclarer d'entrée de jeu, ce n'est pas le livre de Dubey et Gras qui me fera changer d'avis. 

C'est le titre du livre (La Servitude électrique) qui a déclenché mon geste d'achat, en ce qu'il laisse entrevoir tous les malheurs qui s'abattent sur les pauvres humains quand ils sont privés d'électricité. Il me suffit de penser aux Ukrainiens de Marioupol ou d'Irpin qui, sous les bombardements de leurs cousins russes, sont coupés de toute ressource en eau, gaz et électricité depuis x semaines. On peut aussi avoir une pensée pour les habitants de Sarajevo, qui furent privés de presque tout lorsque Slobodan Milosevic a lâché ses chiens de guerre sur la Croatie et la Bosnie pour réaliser son rêve de "Grande Serbie".

La question est : « Que deviendrions-nous, si toute ressource électrique nous était un jour coupée ? » (il faudra peut-être mettre le verbe au futur). La réponse à cette question est évidente : « Nous retournerions deux siècles en arrière, mais démunis de tous les savoir-faire, gestes, habitudes qui semblaient naturels à nos ancêtres ! Et surtout les savoir-faire qui constituaient l'essentiel des apprentissages concrets (= ni scolaires, ni intellectuels, ni culturels, etc.) qui permettaient à chacun de se débrouiller dans son environnement et dans sa réalité ». Vu d'ici, ça voudrait dire retour à la préhistoire, chaos, catastrophe, désastre, etc. Et sans doute barbarie.

Car l'usage constant d'appareils mus par des moteurs et/ou par l'électricité nous a désappris les savoirs fondamentaux qui ont fabriqué toutes les cultures humaines depuis des dizaines de siècles. C'est la raison pour laquelle j'avais trouvé le titre de Dubey et Gras particulièrement bien venu, tant il est vrai que l'électricité figure au premier plan parmi les piliers de ce qu'on appelle le "Développement" ou la "Modernité".

C'est ce qu'avait bien vu le camarade Lénine qui, dans son discours au huitième Congrès des Soviets en 1919, a lancé le slogan : « Le socialisme, c'est les Soviets plus l'électricité », qui n'est pas pour rien dans le dévoiement de l'idéal communiste en capitalisme d'Etat, avec l'aristocratie d'une Nomenklatura de privilégiés qui n'ont eu aucun mal à se reconvertir en "oligarques" quand on a vu se démembrer l'empire soviétique. 

Chez nous, aujourd'hui, c'est un constat d'une telle banalité que je ne m'y attarde pas : la force de l'électricité est partout présente, dans la vie quotidienne de tout le monde, mais aussi à la base de toute la machine économique comme aux origines de nos moyens actuels de communication. Imagine-t-on même un meeting politique sans micros ni haut-parleurs ?

Bon, pas besoin d'un long prêche : tout le monde est convaincu du désastre absolu qui s'abattrait sur la civilisation entière si la source électrique venait à se tarir, une civilisation dont la puissance n'a pas d'égale historique, une civilisation fertile en inventions de toutes sortes, une civilisation qui s'est rendue capable de rendre la vie humaine plus facile, plus agréable, plus longue, plus confortable, plus ..., plus ....

Mais une civilisation qui a déposé toute son existence physique, voire toute son âme, entre les mains de cette "fée". Mais une civilisation d'une fragilité extrême, toujours à la merci d'une panne, d'un accident, d'une tempête, que sais-je encore.  Mais une civilisation qui s'est en quelque sorte elle-même réduite en esclavage, puisqu'en tout et pour tout elle s'est mise dans la dépendance la plus étroite d'une puissance qui lui échappe en partie, puisque l'on n'a pas encore trouvé le moyen de bâtir des greniers où l'on stockerait l'électricité de la même manière que le foin, le blé, etc. 

J'ai donc acheté La Servitude électrique, me fiant à la clarté séduisante du titre, et m'attendant à découvrir des développements d'idées profondes sur le sujet. J'ai déchanté. Pour faire simple, je dirai, pour donner au lecteur éventuel une idée de l'impression générale que m'a laissée le bouquin : « Pourquoi faire simple quand on veut faire compliqué ? ». Je ne doute pas de la compétence des deux auteurs dans leur spécialité et dans leur démarche, et peut-être ont-ils voulu donner à leur travail le cachet de sérieux universitaire qui fait estimer des égaux et collègues.  

En lisant des ouvrages de spécialistes de telle ou telle "science humaine", j’ai trop souvent l’impression que les auteurs se paient de mots. Je veux dire que trop souvent le discours des sciences humaines ressemble au nom de famille de l’O.S.S.117 de Jean Bruce (qui reste l'inventeur du personnage) : « Bonisseur de la Bath », autrement dit, en bon argot de l'époque, « doué pour le bagou infatigable du camelot bavard ». Et je dois l’avouer : je ne supporte plus.

Mais pourquoi diable leur manière d'aborder et de traiter le sujet m'a-t-elle souvent horripilé ? J'avoue que je ne suis pas encore parvenu à répondre à cette question de façon satisfaisante. Il faudra que je relise leur bouquin quand j'aurai assez de courage. D'accord, je ne suis pas spécialiste de la question, mais il ne me semble pas que les éditions du Seuil, en créant leur collection "Anthropocène", aient eu l'intention de s'adresser aux seuls savants.

Et si je ne nie pas que le sujet du livre réclame l'exposé de considérations techniques, je n'en démords pas : rien n'oblige l'économiste, le philosophe, le psychanalyste, le sociologue, bref, le science-humaniste, qu'il soit de base ou d'élite, à user d'un langage amphigourique, voire inintelligible, pour diffuser le fruit de ses réflexions. Il est vrai que les auteurs ne jargonnent pas constamment. Comment dire ? Peut-être compliquent-ils les choses dans leur façon de disposer les idées et de recourir à des concepts, car à plusieurs reprises, je me suis demandé pourquoi ils se mettaient à parler de ceci, de cela.

Et pourtant, ça ne commence pas trop mal : « Nous vivons de l'électricité comme de l'air qu'on respire, sans nous poser de questions, ni mesurer les conditions et le prix de ce confort. D'où l'incompréhension, puis l'impatience lorsque la panne interrompt brusquement le cours normal des choses mais aussi l'angoisse qui saisit les penseurs du capitalisme, autant que les simples citoyens, d'un risque dont on ne connaît pas la taille » (p.8). Tout le monde est d'accord, n'est-ce pas, bien que je me demande ce que viennent faire ici les "penseurs du capitalisme" : s'agissant de panne, j'attendrais plutôt les "entrepreneurs" (les penseurs ne sont jamais en panne, qu'on se le dise). Mais passons.

Passons aussi sur "le célèbre William Jevons" dont la "célébrité", en dehors d'un cercle d'initiés, m'a bien fait rire (comment ? vous ne connaissez pas William Jevons ?). Je suis d'accord avec « le qualificatif de thermo-industrielle » (p.12) pour désigner notre civilisation, avec le « macro-système technique » (p.12 ; quoique, franchement, M.S.T. !......), avec le fait que « La course aux énergies renouvelables confie à l'électricité le soin de sauver le monde » (p.15) et avec le caractère illusoire et fragile du sentiment de confort et de sécurité que procure la possibilité d'appuyer sur des boutons pour obliger mille esclaves mécaniques à exécuter des tâches qui nous répugnent, ou pire : dont nous avons perdu le savoir-faire antique.

D'accord encore pour admettre que cette puissance n'est pas sans contreparties et conséquences désagréables. Je les appellerais "externalités négatives", si messieurs les économistes m'y autorisent : avec cette précision que l'énergie qui allume nos lampes et anime nos lave-linge est produite très loin de son lieu d'utilisation. Elle est donc invisible aux yeux de l'usager. Et même quand on regarde les tours de refroidissement de la centrale du Bugey depuis l'esplanade du Gros-Caillou, on ne fait pas le lien avec le four électrique où mijotent le gratin dauphinois et le rosbif qui nous attendent pour le repas de midi. Pareil pour la centrale au charbon ou au pétrole.

Allez, d'accord aussi sur la pile de Volta (inventée autour des années 1800). C'est tout à fait étonnant, mais, depuis Volta, aucune invention décisive n'est venue modifier les données de base du problème que pose le stockage de l'électricité. Certes on a amélioré la conception, on a trouvé des composants de plus en plus performants, mais comme je l'ai dit plus haut, on n'a pas trouvé le grenier capable de tenir à notre libre disposition le flux électrique. Comme le disent les auteurs de La Servitude électrique : « Ce sont seulement des aménagements sur les substances en jeu, métaux et électrolytes, qui marquent le développement de l'objet technique. La philosophie des sciences constaterait tout simplement une invariance du paradigme [c’est moi qui souligne] » (p.100). "Invariance du paradigme", bon dieu, mais c'est bien sûr ! J'ai trouvé où le fleuve Jargon prend sa source !

Soyons juste : certains passages du livre apportent de véritables informations cruciales, tout au moins aux yeux du lecteur moyennement informé que je suis. On trouve ça page 164, où l'on parle d'éoliennes de 200 m. de haut (en mer). C'est d'abord une citation : « Les terres rares interviennent dans la composition des générateurs dits "synchrones" dans lesquels le rotor est un aimant permanent. Ainsi, pour une puissance de 1 MW fournie par le générateur, il faut environ 600 kg d'aimants contenant près de 200 kg de terres rares. Une éolienne offshore pouvant atteindre 10 MW de puissance nécessite donc à elle seule plus d'une tonne de terres rares » (p.164). C'est dans un rapport officiel. Je ne sais pas vous, mais je trouve que ça jette un sacré froid sur les éoliennes, non ?

D'autant que les auteurs ajoutent : « L'adjectif "rare" indique leur infime présence au milieu d'autres minerais, par exemple "seulement" 16 tonnes de roche pour un kilo de césium, mais 1200 tonnes pour un kilo de lutécium, tout cela pour nos écrans LCD, lampes LED, batteries, etc., et intermédiaires électroniques en général » (p.164-165). Ben voilà, c'est pas difficile, elle est là, messieurs Dubey et Gras, la substance qu'il me faut : ça au moins c'est du solide, qui m'autorise à penser qu'on n'est pas près de voir la fin de l'extractivisme. Avis aux amateurs d'Iphones, de smartphones et autre 5G. Qu’attendent les jeunes qui s’empressent aux manifs "climat" pour piétiner sauvagement leurs propres Iphones ?

Dommage que, quelques pages plus loin, on trouve cette salade : « L'éolien et le solaire, en effet, mettent en pleine lumière le dilemme du choix à faire librement entre beauté et utilité. La première est certes construite mais habitée philosophiquement par la controverse, elle n'est pas mesurable, alors que la seconde est socialement définie à un moment donné par la parole dominante » (p.180). Faut-y vous l'envelopper, Madame Michu ? Vous comprenez mieux ma réticence ? 

J'ai ensuite un peu de mal à suivre les considérations et les chaînes de raisonnement qui accompagnent l' « encapsulage » dû au numérique, si ce n'est l'idée que le dit numérique achève de nous couper de la réalité réelle des choses et des gens, ainsi que quelques émergences : « Le pouvoir introuvable de la cybernétique est surtout le symptôme d'un pouvoir qui se rend invisible à mesure qu'il se privatise et se sépare de la société » (p.247). Ce que je comprends ici, c'est que les pouvoirs, que ce soient les autorités publiques ou des instances privées, s'ils ne comprennent pas mieux que vous et moi l'énormité du pouvoir de la cybernétique, du moins en ont-ils l'usage, et en font-ils usage.

Tiens, encore une info que j'ignorais: « La dalle de verre des smartphones est recouverte d'une substance qui accumule les charges électriques (à base d'indium, un métal rare). Le contact du doigt sur la dalle suffit à provoquer un transfert de charge, le doigt absorbant "le courant de fuite". Le déficit de charge est quantifié avec précision par les capteurs situés aux quatre coins de la plaque » (p.280). Suit malheureusement une salade sur « l'appétence du corps à faire signe vers autrui, à être en relation », puis sur « cette ouverture primordiale du corps, jusqu'à en faire l'un des plus puissants instruments de contrôle jamais imaginés » (p.281). La peste soit des psycho-sociologues et de leur bla-bla !

Bon, on s'achemine vers la fin de l'ouvrage de Gérard Dubey et Alain Gras, oscillant entre les truismes (« Cette délocalisation du travail fait directement obstacle à la formation de collectifs. » (p.298), sans doute pour parler de la dislocation des "corps intermédiaires", partis ou syndicats) et quelques épiphanies goûteuses à souhait, du genre de : « Au temps intermittent d'une électricité "terrestre" répond ainsi une "histoire désorientée", qui réinvestit la multiplicité des temps sociaux » (p.319), où il nous est proposé, par exemple, de « désencapsuler le temps » [pourquoi pas juste "décapsuler" ?] (p.320), et où l'on nous annonce l'ère d'une « ontophanie numérique » (p.324). Je l'ai dit au début de ce billet : pourquoi faire simple quand il est plus rigolo de faire compliqué ?

Alors qu'est-ce que je retiens de la lecture de ce curieux bouquin ? C'est que, au-delà de l'obstacle langagier et conceptuel et si j'ai bien compris ce que j'ai cru comprendre, les auteurs se rangent du côté d'un écologisme critique, mais finalement optimiste. Ils se présentent en effet, pour conclure « en sismologues plutôt qu'en collapsologues » (p.335).

Je regrette seulement que, pour un sujet passionnant porté par ce titre génial (La Servitude électrique), on ne fasse pas un effort de lisibilité pour se rendre accessible au plus grand nombre, et pour cela qu'on fasse emprunter au lecteur bien des déviations, dont pour ma part je me serais volontiers passé du détour. Je regrette aussi qu’un sujet aussi brûlant ne soit pas défendu de façon plus percutante.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Je garantis l'authenticité de la subjectivité de tout ce qui est écrit ci-dessus, exception faite des citations, parfaitement objectives quant à elles, quoique sélectionnées par mes soins.

dimanche, 13 mars 2022

LE "MONDE" ET L'ETAT DE LA GAUCHE

POUR CHANGER LE MONDE, LA GAUCHE DOIT CHANGER DE MONDE.

Le Monde est un journal sérieux. C'est même (c'était ?), paraît-il, LE journal de référence. Nicolas Truong est journaliste au journal Le Monde. C'est donc un journaliste sérieux : c'est lui qu'on envoie au front. Il a publié dans le numéro daté samedi 5 mars une magnifique double page, orné sur la deuxième d'un joli, symbolique et attendrissant dessin de belle surface, et d'une facture excessivement féminine, signé Christelle Enault. 

Nul doute que Nicolas Truong est un bon journaliste, et un journaliste consciencieux. Il se contente ici, modestement, de rendre compte d'un certain nombre de lectures qu'il vient de faire : des ouvrages récents consacrés à des analyses des raisons de la déconfiture de plus en plus flagrante de tout ce qui s'est longtemps appelé la GAUCHE. Il s'efforce de coudre ensemble les propos divers, chatoyants et bigarrés des nombreux experts qui interviennent pour signer le constat de décès et le procès verbal d'autopsie expliquant les causes de la mort, elles-mêmes pleines de bigarrures. On ne s'étonnera donc pas que le tableau d'ensemble que la lecture de cet article procure, ressemble au costume d'un Arlequin gesticulant plutôt qu'à un tailleur Chanel porté par une femme élégante lors d'une soirée chic.

Le journaliste commence par un curieux panorama des tendances qui tiraillent les gens qui se sentent "de gauche" : on se demande d'abord ce que peut bien être un "communisme institutionnel". L' "écologisme" donne lieu à un joli gloubi-boulga, où se mélangent "récit émancipateur" et "réchauffement climatique", et où l'écologie "peine à intégrer les révolutions de la pensée du vivant" : prenez ça dans la figure ! Truong tient à faire une place au "trotskisme", cette amibe qui se prend pour un être vivant chaque fois que se profile une présidentielle. Il achève ce tour de table sur l'improbable mouvance insurrectionnelle : je me demande s'il pense à Julien Coupat (L'Insurrection qui vient) ou aux troupes très mobiles qui viennent aux manifs pour casser du flic et des vitrines et donner au gouvernement un prétexte pour casser du manifestant.

Vient ensuite le plat de résistance : les noms d'auteurs défilent, accompagnés du titre de leur ouvrage ou de leur titre professionnel, voire universitaire. Nicolas Truong sème ses petits cailloux blancs : ici un stéréotype qui ne saurait renier ses origines vasouillardes et benoîtement orientées — "avènement d'une société du commentaire où s'est engouffrée la mouvance néoréactionnaire". Ça y est, l'étiquette est collée, pas besoin d'argumenter ou de nommer l'ennemi, on peut y aller dans l'esbroufe confortable. Sans compter que le vocable "mouvance" se prête à merveille à toutes sortes de lectures désobligeantes.

Là une formule étrange : "Olivier Ferrand, fondateur du laboratoire d'idées progressistes" : qui nous dit ce qu'est ce "progressisme"-là ? S'agit-il des idées qui réclament une plus juste redistribution des richesses produites ? Ou bien de celles qui brandissent la défense de toutes sortes de minorités qui "luttent contre les normes excluantes" d'une majorité et d'une société intolérantes ? On ne saura pas.

Ailleurs une expression discutable : par exemple, "une classe politique largement désintellectualisée", sans doute pour suggérer que, vu la médiocrité de nos politiciens, tous plus premiers-de-la-classe les uns que les autres, il n'existe plus d'hommes d'État en mesure de « se faire une certaine idée de la France », raison pour laquelle ils délèguent le souci de penser à des "think tanks" qui ont pour mission de trouver les éléments de langage capable de donner au mariage de la carpe et du lapin tout le lustre qu'il mérite. 

Mais parlons des auteurs et de leurs idées. Le politiste Rémi Lefebvre pense que "la gauche est un monde défait". Le constat est imparable. Tout va bien, jusqu'à ce que Laurent Jeanpierre assigne à la gauche le devoir de "se détacher de ses atavismes et de ses identités partisanes arrimés au XX° siècle". Mais pourquoi faut-il qu'un illuminé ramène sa fraise et sa sociologie avec des "atavismes" et des "identités partisanes" ? Du coup, on n'y comprend plus rien. Bon, je vois là, plus ou moins, une sommation faite à la gauche de se "moderniser", c'est-à-dire de se convertir à la version sociétale du "progrès", et d'abandonner les classes laborieuses à leur sort. C'est admettre que le capitalisme a triomphé.

Je passe sur quelques oiselleries de Mme Marion Fontaine, qui décochera plus loin ce trait amusant : "Nous assistons à l'effritement du Parti socialiste français, qui a sans doute rempli sa mission historique". Je ne sais pas pourquoi je trouve cette phrase hilarante. Peut-être le Parti socialiste est-il félicité d'avoir, en se couvrant d'opprobre (mariage homosexuel, loi El Khomri, ...), anéanti la crédibilité de tout ce qui ressemble à une force de gauche ?

J'ai bien envie de passer aussi sur le fameux rapport de "Terra Nova" de 2011, vous savez, ce "think tank", dirigé par le médiocrate pusillanime Thierry Pech, et qui préconise de ne plus centrer la doctrine de la gauche sur la classe ouvrière, au motif que "la nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé". Un gros coup de badigeon sur les vieilleries ouvrières et de "modernisation" : quelle marge de manœuvre le capital laisse-t-il aux tenants des anciens idéaux qui ont fait la Révolution ? Pas grand-chose : la "bienveillance", le "care", l'inclusion des exclus, quelques autres babioles. Des "valeurs de gauche", quoi, histoire de ne pas avoir tout perdu. Le capital peut dormir tranquille.

Personnellement, je comprends que la classe ouvrière, et plus généralement les classes populaires, aient laissé tomber les partis de gauche, tous coupables de trahison, pour se tourner vers des gens (les Le Pen et leurs variantes) qui prenaient en compte, au moins dans leurs discours, leurs préoccupations, y compris ce satané conservatisme social si mal vu par la "nouvelle gauche".

On n'y peut rien : le bas peuple tient à des structures éprouvées et à des traditions sûres, et se méfie à cet égard de toutes les formes d'innovation. Certains peuvent bien juger cela arriéré ou insupportable, et la propagande véhiculée ne s'en prive pas, au nom du "progressisme", n'en doutons pas, reste que les "vrais gens" sont comme ça et pas autrement. S'en prendre avec hauteur ou hostilité aux réticences à la frénésie d'innovation sociétale, c'est mépriser les gens simples, les "gens de peu".

Peut-être est-ce après tout une simple histoire d'offre et de demande : quand les partis communiste, socialiste, radical de gauche et tutti quanti se sont vu préférer les épouvantails d'extrême droite par leur clientèle traditionnelle, ils ont modifié leur offre, pour ne pas finir trop vite exsangues, en direction d'une clientèle "rénovée". C'est humain : tout le monde, y compris une structure, veut "persévérer dans son être". Remarquez que ça n'a pas empêché les deux grands partis de gauche d'être obligés d'abandonner leur vaisseau de croisière (Colonel Fabien, Solférino) pour se réfugier sur une coquille de noix au fur et à mesure de leurs avanies électorales.

Qu'entendent Marion Fontaine et son acolyte le sociologue Cyril Lemieux par "effondrement du monde ouvrier et de ses institutions paternalistes" ? "Paternaliste", ça sent déjà son mépris du "moderne" pour l'"archaïque", mais ne faudrait-il pas parler, plutôt que d'effondrement, de la désertification industrielle de la France, quand les coalitions d'actionnaires ont obtenu des grands conseils d'administration l'embellissement des dividendes par la vente des forces productives à la Chine ? Voir sur ce sujet la B.D. de Benoît Collombat et Damien Cuvillier Le Choix du chômage.

Une petite mention à Nicolas Mathieu, écrivain et "transfuge de classe", à ce qu'on nous dit, qui parle d'une "gauche hypokhâgne" à égalité avec une "gauche bac pro" : on sent qu'ici le ver est déjà dans le fruit. Une petite mention également aux écrivains libertaires Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, qui parlent un peu gentiment des "renoncements" du Parti Socialiste, et à Rémi Lefebvre qui évoque plus justement cette "deuxième droite" qui a, sous François Hollande, "abîmé la gauche" et "très durablement discrédité le PS". Pauvre Anne Hidalgo, envoyée au casse-pipe par ses propres frères d'armes !

Bruno Karsenti est philosophe et il n'aime pas trop le peuple, expliquant que "la gauche est à la fois minée par la puissance du libéralisme et la prégnance du conservatisme". Foutu conservatisme : encore un de ces "science-humanistes" bavards, qui voudrait bien inculquer aux gens ordinaires un peu de sens de la modernité, formater les hommes d'après l'image qu'il s'en fait et les débarrasser de leurs haïssables préjugés et "stéréotypes" (de classe, de race, de sexe, de norme, etc.).

Preuve que plus personne ou presque ne sait où il en est, "La gauche démocratique et modérée ne s'est pas volatilisée, elle vote Macron". Encore un de ces foutus politistes qui disent tout et le contraire de tout, sans le dire, mais tout en le disant. Car enfin, si une gauche vote Macron, est-ce une gauche ? Non ! Heureusement Bruno Karsenti rétorque : "Emmanuel Macron n'est pas social-démocrate, il incarne le sommet de son dévoiement". 

Nicolas Truong aborde ensuite le cas de la "gauche écologique et sociale". C'est pour mentionner aussitôt le feu de paille de l'espoir que certains avaient mis dans le virus et dans un hypothétique "monde d'après", où les peuples, les penseurs, les industriels et les gouvernants auraient réfléchi et admis qu'on faisait fausse route. Il n'en a rien été, comme on le constate tous les jours : "Ce qui n'a pas évité un retour à la normale", "normale" étant écrit sans guillemets par le journaliste lui-même. 

Citons au passage la grosse niaiserie du renommé et néanmoins sociologue Bruno Latour, qui ose affirmer que "l'écologie, c'est la nouvelle lutte des classes". Laissons-le à ses lubies, quoi qu'il dise de sensé sur le productivisme et l'extractivisme qui gangrènent la planète et les bipèdes qui en foulent le sol. Comment fait-on, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier pour : "se réapproprier un progressisme social détaché des illusions de la croissance" ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, qu'il faudrait "une politisation des sciences sociales" ? La tâche n'est-elle pas pour l'essentiel accomplie ? Et que signifie : "Il convient de mêler socialisme et écologie, ces deux courants apparentés, mais dont la ligne est encore "mal tracée"" ? J'ignorais que socialisme et écologie fussent des "courants", et encore plus : qu'ils fussent apparentés (voir ce qui est dit plus haut de l'extractivisme comme matrice du socialisme : il faudrait savoir).

Bon, j'arrête là. Il resterait bien quelques menues considérations des uns et des autres à mentionner, mais je crois suffisants les éléments de preuve accumulés. Preuve de quoi ? Oh, pas grand-chose : juste le terrible champ de bataille de thèses, d'hypothèses et de foutaises qu'est devenu le problème de la gauche, depuis que la réalité de la protection des classes les moins favorisées a été laissée aux soins des forces du marché. Juste l'innommable bouillie déversée par des intellos de tout acabit sur une situation d'ensemble que plus personne ne comprend et ne maîtrise.

L'article de Nicolas Truong est finalement assez honnête, en ce qu'il reflète assez bien, malgré quelques bizarreries, la couleur et la substance de la panade économique, politique, sociale, intellectuelle et morale dans laquelle le temps présent nous fait patauger, tous tant que nous sommes, gens ordinaires.

Mais il y a une autre tendance qui ressort en relief de ce tableau chaotique : l'émergence à "gauche"  (on se demande ce qui les rattache à la gauche) de nouvelles forces : les jeunes, les femmes, les minorités, les diplômés, et des "divers", c'est-à-dire une pléiade de groupes d'une splendide hétérogénéité, dans lesquelles j'ai du mal à voir autre chose que divers segments d'une clientèle exigeante à l'égard des entrepreneurs politiques et des produits qu'ils proposent sur le marché.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : « Or il semblerait ne plus y avoir de "monde d'après", même à Saint-Germain-des-Prés, pourrait-on avancer avec Léo Ferré ». Mais que je sache, "il n'y a plus d'après à Saint-Germain-des-Prés", cher M. Truong, est une chanson de Guy Béart, paroles et musique.

vendredi, 16 juillet 2021

EN ROUTE POUR LE MONDE D'APRÈS

Le général Le Cointre n'est pas n'importe qui : chef d'Etat-Major des Armées de la France. Comme tel, je suppose que lui arrivent en pagaille des informations qui ne dépassent pas un cercle plus ou moins réduit, plus ou moins ouvert ou tenu au secret, et qui touchent l'évolution des forces en présence, de la marche des puissances, des stratégies, des groupes émergents et des déstabilisations potentielles de ce qu'on a coutume d'appeler "l'ordre du monde". Informations qui ne regardent en aucune manière le vulgum pecus que nous sommes, et dont le vulgum pecus en question est soigneusement tenu à l'écart. Lecointre en connaît donc un rayon, et il sait de quoi il parle.

J'imagine que, en accordant une interview au journal Le Monde dans le numéro daté 14-15 juillet 2021 (propos recueillis par Elise Vincent), il s'exprime exclusivement en tant que militaire de très haut rang (5 étoiles), et qu'il mesure le poids de ses mots. C'est précisément dans cette mesure que le titre retenu par Le Monde pour intituler l'interview peut faire peur.

général le cointre,chef d'état-major des armées,journal le monde,

général le cointre,chef d'état-major des armées,journal le monde, 

La citation exacte : « Il y a une dégradation continue de l'ordre du monde, nous le constatons tous. Cela se voit notamment en Ukraine, en mer Noire, en Méditerranée orientale. Cela s'observe aussi en Irak, en Syrie, avec une résurgence de Daech. La situation n'est toujours pas apaisée non plus avec l'Iran, elle se dégrade au Mozambique, au Liban, et je ne suis pas certain que les tensions dans les Balkans aient été définitivement résolues. » Le reste de l'interview est assez frustrant, pauvre en informations concrètes et loin de révéler le moindre petit secret. Il se contente d'offrir un panorama général de l'état actuel de l'armée française et de ses missions, et de ce qu'il faut souhaiter pour qu'elle reste une force qui compte.

Quoi qu'il en soit, le titre à lui seul ne fait qu'ajouter aux déjà multiples raisons (pauvreté scandaleuse jusque dans les pays dits riches, réchauffement climatique, catastrophes écologiques diverses, j'en passe et des meilleures) que les humains actuels ont de s'interroger sur ce qui peut arriver et de s'inquiéter du sort qui sera fait aux humains, non pas dans un futur lointain, mais dans un proche avenir, étant entendu que pour ceux de ma génération, les jeux sont faits, ou pas loin. 

mardi, 06 juillet 2021

GLYPHOSATE : LE MONDE D'AVANT NE LÂCHERA RIEN

Excellentes nouvelles du côté de la défense de l'environnement et de la santé humaine. C'est le journal Le Monde qui nous en informe sous la plume de l'excellent Stéphane Foucart. Les autorités sanitaires européennes (EFSA) se préparent à (langue administrative) "prendre une décision touchant la « ré-approbation »" de la célébrissime substance (en français : vont de nouveau autoriser le glyphosate, il ne faut pas se leurrer). Les entreprises qui font de l'agriculture une industrie se frottent déjà les mains.

Car pour cela, on demande aux autorités de se fonder sur des "études" fournies par les industriels (fournies par les industriels : voilà pourquoi je mettrai des guillemets au mot "études"). L'EFSA a validé vingt-cinq de ces "études" pour la prochaine démarche de réévaluation, qui doit aboutir à la décision en 2022. Ces vingt-cinq "études" [attention, il faut suivre ! et pardon pour la lourdeur] font partie d'un lot de trente-huit dans le nouveau dossier d'homologation fourni par les firmes en vue de la nouvelle autorisation. Cela veut dire que treize "études" ont été écartées : aux yeux des "régulateurs" européens, pourtant très "indulgents", ça exagérait sans doute de trop.

Mais [attention, c'est pas fini !] le lot de trente-huit appartient lui-même au corpus des cinquante-trois "études" qui avaient permis la ré-autorisation en 2017, et dont deux chercheurs autrichiens ont été finalement autorisés par la justice européenne à décortiquer la méthodologie. Pourquoi autorisés ? Parce que, jusqu'alors, il était interdit de mettre le nez dans la façon et la méthode dont ces "études" avaient été menées par les laboratoires des industriels sur les effets de leur bienfaisant glyphosate.

Pourquoi était-ce interdit ? Probablement quelque obscur secret de fabrication ? Toujours est-il que le justice a tranché. Siegfried Knasmueller et Armen Nersesyan ont donc pu examiner à la loupe la méthodologie des cinquante-trois "études" "scientifiques" touchant la "génotoxicité" du glyphosate, sur lesquelles les autorités sanitaires européennes s'étaient appuyées en 2017 pour donner satisfaction aux lobbies industriels.

Notez que le boulot de ces deux chercheurs n'était pas de savoir si le glyphosate était du caca ou du boudin : ils voulaient juste savoir dans quelle mesure ces "études" avaient respecté les protocoles méthodologiques normalement en vigueur dans les analyses et expériences scientifiques les plus sérieuses et rigoureuses.

Et il y a de quoi tomber de l'armoire ! Deux études (sans guillemets pour le coup) sur cinquante-trois (7%) se sont révélées conformes ! Dix-sept sont considérées comme « partiellement fiables ». « Toutes les autres, soit plus des deux tiers (68%), sont considérées par les deux experts comme "non fiables" ». C'est dit : deux tiers des études sont des bobards enrobés au sirop d'escroquerie. Ah, se dit le quidam ordinaire, voilà donc pourquoi les industriels tenaient leurs "études" en sécurité dans des coffres-forts, bien à l'abri des regards indiscrets. Et c'est sur ces impostures que s'appuie la décision de Bruxelles. Ça, c'est l'Europe !!!

Voilà un mauvais résumé de l'article (difficile à suivre pour un non-spécialiste mais important) de Stéphane Foucart paru dans Le Monde daté 4-5 juillet 2021. Il va de soi que le ton du journaliste observe la plus stricte neutralité, contrairement au présent billet : je ne suis pas journaliste, et je m'estime en état de légitime défense.

Il ressort de tout ce galimatias abscons et rébarbatif que les industriels dans le monde d'après sont en tout point semblables à ceux du monde d'avant. Ils vous pondent en quantité des "études" "scientifiques" débouchant sur des conclusions qui leur sont favorables, mais dans lesquelles d'authentiques scientifiques désintéressés n'auraient strictement pas eu le droit de mettre le nez pour cause de secrets industriels, si la justice n'avait pas vu les choses autrement. Concluez vous-mêmes quant à la sincérité de tous ces gens. Et quant à la qualité des "études" ainsi produites. 

Mais il ressort aussi — et ça c'est beaucoup plus grave — que les autorités sanitaires se rendent complices des manœuvres de ces mammouths de l'agro-industrie. Car il y a forcément des complicités au sein même des instances régulatrices, des gens plus ou moins de bonne foi, plus ou moins intéressés, plus ou moins vendus, plus ou moins achetés, plus ou moins convaincus. Et on comprend : comment résister à certaines pressions plus ou moins souriantes, plus ou moins aguichantes, plus ou moins pressantes, voire plus ou moins menaçantes, sait-on ?

Moralité ? L'industrie agro-alimentaire ressemble fort à un repaire de pirates. L'EFSA a tous les airs d'un fruit pourri. Les autorités européennes se comportent comme des marionnettes. Et les cinq cents millions d'Européens sont des gogos. 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Naomi Oreskes, dans Les Marchands de doute, pointait déjà l'imparable perversité du système dans lequel de vrais scientifiques sont constamment confrontés à des gens sans foi ni loi mais très puissants, qui les somment de démontrer qu'un poison est nocif. Dans cette affaire, LE DOUTE PROFITE AU CRIMINEL. La science ne peut pas grand-chose contre le cynisme, la mauvaise foi et la puissance financière de ces cartels de la drogue dont tous nos politiciens baisent les babouches en signe d'allégeance. Et le seul impératif de ce genre de criminel est : plus je t'embrouille le débat public à coups de recherches scientifiques bidonnées, mieux je me porte.

dimanche, 02 mai 2021

ALORS ÇA VIENT, LE MONDE D’APRÈS ?

BLAGUE MONDE D'APRES GDB.jpg

Dessin de GDB (pour Gueule De Bois ?) piqué sur Fesse-de-bouc.

La réponse à la question posée par le légume ci-dessus qui s'impatiente au fond de son fauteuil club, tout le monde en a maintenant une idée assez claire. Je n'insiste pas : ce sera JAMAIS.

La preuve : même les syndicats (en ordre dispersé — parfois par la police) ont recommencé comme autrefois, à l'occasion du 1er Mai, à faire visiter quelques centres-villes aux radios et télés du pays — qui rappliquent en masse dès qu'elles reniflent (espèrent) qu'il va y avoir de la castagne et des vitrines brisées (autrement dit du spectacle, de l'audience et du fric).

Le président, lui, n'a pas cessé d'emballer des discours dans de jolies boîtes à bonbons enrubannées de rose ou de menacer son peuple d'une fessée magistrale, pendant que les personnels hospitaliers, dégoûtés, quittent l'hôpital pour changer de métier ou arrachent leurs derniers cheveux en des gestes convulsifs de rage impuissante, en attendant la "quatrième vague" annoncée.

Et dans le même temps, le journal Le Monde nous apprend qu'un rapport fondé sur des centaines d'études scientifiques alerte (mais alerte qui, au fait ?) sur la folie de l'humanité, qui continue à déverser dans tous les océans de la planète des quantités monstrueuses de toutes sortes de gentillesses chimiques ou autres, issues de l'industrie pour être consommées, puis transformées en autant de déchets que la même humanité met à l'abri dans les profondeurs marines, et qui tournent leur pouvoir de nuisance sur les capacités de reproduction des êtres végétaux ou animaux qui vivent dedans, quand ils ne les tue pas (pour que ça aille plus vite, sans doute).

Il serait temps qu'on se mette à la rédiger, la Déclaration Universelle des Limites Humaines. Cela ferait au moins une belle affiche de plus à apposer aux murs des établissements d'enseignement du monde entier — et que personne ne lirait. J'ai essayé de lire dans le temps la Déclaration Universelle des Droits de l'Enfant. J'ai renoncé tellement ça suinte la bonne intention et les grands principes, que ça les rend antipathiques et presque nauséabonds.

Quant aux autres légers problèmes que se crée l'humanité — financiarisation de l'économie, y compris de l'immobilier, surarmement de beaucoup de nations agressives, réchauffement climatique ... (je cite pour l'anecdote) — mettons qu'on n'en parlera pas. Pour ne pas désespérer complètement le légume qui s'impatiente au fond de son fauteuil club.

samedi, 23 janvier 2021

"LE MONDE" SE DÉBALLONNE

Je serais à la place de Jérôme Fenoglio, je rentrerais sous terre pour me cacher. Le journal Le Monde, qu'il dirige, à présenté ses excuses à tous ceux qui pourraient se sentir blessés par le dessin de Xavier Gorce paru auparavant. Des excuses ! J'aurais tellement honte que je refuserais l'invitation de France Inter à venir expliquer l'attitude de mon journal. Mais non ! Le pire, dans l'affaire de Xavier Gorce — ce remarquable dessinateur de presse qui y plaçait ses "Indégivrables", des sortes de pingouins se contentant de quelques traits pour délivrer des points de vue très souvent marrants sur le monde tel qu'il cloche —, c'est que Jérôme Fenoglio assume.

Droit dans ses bottes, il explique aux micros que les collègues s'empressent de lui tendre (pensez : le directeur du Monde en personne ! Les micros sont déférents avec les gens de pouvoir) : "Un journal est en droit de refuser de publier des propos ou un dessin qui ne sont pas conformes à son orientation" (je cite en substance et dans les grandes lignes). 

Le pire, c'est que Le Monde l'a publié, le dessin qui fait polémique ! Et ce dessin, je ne suis pas le seul à le trouver excellent : le tiédasse Plantu lui-même, qui s'apprête à prendre sa retraite de la "une" du Monde, l'a déclaré sur France Culture. 

XAVIER GORCE.png

Et vous savez pourquoi je le trouve excellent, ce dessin ? D'abord parce qu'il jette une lumière inattendue, donc marrante – que certains jugeront incongrue – sur une question qui agite toute la médiasphère jusqu'au tohu-bohu (c'est à Freud qu'on doit l'expression "tohu-bohu de l'inceste", ce n'est peut-être pas dans son célèbre livre Totem et tohu-bohu) ; ensuite parce j'ai immédiatement pensé à un autre dessin formidable, mais qui traitait simplement, il y a fort longtemps, d'un paradoxe temporel tout à fait science-fictionesque : un type remonte le temps, rencontre une femme qui se trouve être sa mère-mais-il-ne-le-sait-pas, l'épouse, et je vous passe les déductions embrouillées et jubilatoires que Gotlib en tirait (à moins que ce ne soit Goscinny : je ne me rappelle plus si c'était dans les Dingodossiers ou la Rubrique-à-brac).

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Honte à vous, monsieur Fenoglio ! Honte au journal Le Monde ! Quelle infamie ! Quelle déchéance pour le soi-disant "journal-de-référence" ! Bon, les optimistes se diront que Le Monde n'a pas emboîté le pas au New York Times, qui est allé jusqu'à bannir de toutes ses pages toute intervention dessinée quelle qu'elle soit. Mais là on est dans les folles dérives de la pudibonde, puritaine, hypocrite Amérique.

J'en conclus que l'Amérique n'a pas fini d'exporter – et jusque dans des pays si fiers d'habitude pour prendre la défense de la liberté d'expression, et quelques journalistes d'exception l'ont payé de leur vie !!! – son exécrable "politiquement correct", où ce sont toutes les minorités qui dictent leur loi à la majorité et qui, au moindre chatouillis ressenti à la surface de leur "sensibilité", se débrouillent pour faire taire ceux qu'ils considèrent comme des agresseurs ! Dans le cas du dessin de Xavier Gorce, on peut voir qu'un journal comme Le Monde a une pétoche épouvantable. Tout ce qui risquerait de sonner à la porte du journal en se présentant sous les traits d'une victime d'inceste ou d'un individu "transgenre" est comme le diable en personne. 

C'était donc ça, le "monde d'après" qu'on nous promettait ? Monsieur Fenoglio, je n'ai qu'une grosse chose à vous dire : "Merde" !!!

mercredi, 13 janvier 2021

UNE IMAGE DE LA FEMME ...

... PARMI D'AUTRES.

2021 01 12 ISABEL MARANT.jpg

Isabel Marant (créatrice de mode) photographiée pour Le Monde (12 janvier) par Martin Colombet.

J'ose imaginer que certain aspect de la photo n'a pas été voulu, recherché, prémédité (affiché ? revendiqué ?). 

mardi, 08 décembre 2020

DE MILA À SAMUEL PATY

« Va bien te faire fourré sombre pute je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde. Je m’en chargerais moi-même. Je me ferais un réel plaisir de l’acéré ton corps avec mon plus beau couteau et d’aller laisser pourrir ton corps dans un bois ». Voilà le texte d’un aimable mail – parmi une foule d’autres du même acabit – reçu par une adolescente en France en 2020, tel que le journal Le Monde le reproduit – textuellement, fantaisies linguistiques comprises – dans son numéro daté du 28 novembre.

L’adolescente s’appelle Mila, et personne ne lui a encore coupé la tête. Il faut dire qu’elle n’est pas tendre avec tout ce qui est musulman, islamique, islamiste, mahométan ou coranique : « Votre religion c’est de la merde, votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci. Au revoir. » Si un adepte particulièrement susceptible lui fait « une Samuel Paty », comme le lui promettent des internautes, elle saura pourquoi, et il se trouvera certainement quelques citoyens bien français (vous savez, ces gens de gauche prompts à dénoncer l' "islamophobie") pour dire qu’elle « l’aura bien cherché », et qu’elle s’est livrée à des provocations inutiles et choquantes (mais rien d'illicite selon le procureur).

Samuel Paty, lui, ne s’est pas livré à une provocation. C’est presque pire : il a entrepris, contre toute raison raisonnable, d’expliquer à des gens inaccessibles à cette idée, pour quelles raisons il était permis en France de se moquer des religions, en prenant pour exemple l’objet de fixation des passions du moment : les caricatures de Mahomet. C’est permis, il y a même des lois pour cela. Mais dans la réalité, combien de musulmans sont assez "évolués" pour déclarer comme Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux (Le Monde, 2 décembre) : « Islam de France : aux laïcs la gestion administrative, aux religieux la religion » (c'est le titre de sa tribune) ? Le brave homme se trompe ou se prend à rêver : il n'y a pas de laïcs en islam, ou si peu que rien, pas de laïcité, et le vrai musulman ne comprend rien à la notion et à ce qu'elle implique. 

Combien de musulmans vivant en France sont assez évolués pour simplement admettre le principe de la laïcité, qui fait de la croyance religieuse une chose purement privée ? Pas lourd. Car dans l’islam, la vie religieuse est rigoureusement inséparable de la vie civile, de la vie sociale et de la vie politique. Ne pas oublier que "musulman" signifie "soumis à Dieu" : le bon musulman ne perd jamais de vue l’ombre d’Allah, qui le suit, l’observe et l’entend à tout moment de son existence. Pour un musulman, le religieux imprègne la totalité de la vie.

Alors que pour les « vieux Français » (on disait "vieux chrétien" en Espagne il y a quelques siècles), la loi de 1905 est une chose du passé, entendue, admise, classée, au point que plus personne n’en parlait jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’un intrus s’était immiscé dans ce tableau tranquille, si l’on excepte quelques abcès, furoncles ou apostèmes (catholiques en 1984 et juifs par épisodes) crevés plus ou moins vite et plus ou moins complètement. Pour ce qui est des religions, la France pouvait être considérée comme un pays en paix, jusqu’à ce que certains trublions, au nom du père Mahomet, mettent très ostensiblement les pieds, la barbe, le hidjab et maintenant le poignard dans le plat.

Là-dessus, depuis les crimes de Mohamed Merah (2012), les hauts responsables politiques ou autres se sont échinés à répandre l’idée qu’il faut surtout se garder de confondre « islamique » et « islamiste radical ». Je voudrais bien que ce soit possible et réaliste, mais je me suis assez vite demandé si la distinction n’était pas de pure forme, académique et vaine. Et ce n’est pas la mort atroce de Samuel Paty, décapité en pleine rue, qui m’a amené à me reposer la question : son meurtrier est incontestablement un islamiste radical, qui s’est convaincu, entraîné, qui a soigneusement traqué la cible que quelqu’un lui a désignée et mis son projet à exécution.

Il en va tout autrement du cas de Mila, victime toujours vivante des tombereaux de haine déversés contre elle depuis qu’elle a eu l’audace de refuser de « sortir » avec un garçon qui se présentait comme musulman (si je me souviens bien). Depuis qu’elle l’a repoussé en lui disant ce qu’elle pensait de sa religion, toute une islamosphère a pris feu et menace d’y jeter l’adolescente, qui en a inconsidérément rajouté quelques couches. 

On me dira que ce sont les « réseaux sociaux », qu’après tout ce ne sont que des mots, et qu’ils sont, les uns et les autres, loin d’être l’expression de tout ce que la France compte de musulman. J’en suis d’accord. Je fais simplement remarquer que la haine à l’encontre de la jeune Mila constitue le point où se réunissent un grand nombre (combien ?) de gens, et que s’il faut qualifier tous ces gens d’ « islamistes radicaux », les Français peuvent commencer à avoir peur, parce que ça signifie que nous avons sur notre sol la tête de pont d’une armée ennemie. Or je crois justement que ce ne sont pas des islamistes radicaux qui s'en prennent à Mila, mais des musulmans plus ou moins ordinaires. Je dirais plutôt que nous assistons à une crispation forte de ces couches de la population sur la partie religieuse de leur identité.

On peut considérer que cette haine pour l’adolescente, largement partagée, exprime le sentiment, non d’un groupuscule d’extrémistes prêts à l'action violente, mais d’une partie non négligeable des musulmans de France, probablement des jeunes générations, dont le poil se hérisse dès qu’un outrage à leur dieu, à leur prophète ou à leur religion montre le bout de l’oreille.

J’en veux pour preuve les sept cent quatre-vingt-treize « signalements » parvenus sur le bureau du ministre de l’Education, suite à l’hommage rendu à Samuel Paty dans les collèges et lycées, et dont 17% ont été rangés dans la colonne « apologie du terrorisme » et 5% dans la colonne « menaces de mort ». Là encore, on me dira que ce sont des jeunes, qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent.

Mais je répondrai par une question : pour 793 cas « signalés », combien d’autres ont été purement et simplement passés sous silence par des personnels enseignants excédés de la pression qui pèse sur eux en cette matière, et qui ne tiennent pas à charger la barque ? Et pour un imam  (celui de Villiers-le-Bel) condamné à dix-huit mois de prison pour apologie du terrorisme (Le Monde, 28 novembre), combien restent en liberté pour prêcher la haine tous les vendredis à la prière ? Et combien de musulmans ordinaires répondent aux sondeurs qu'ils placent la charia au-dessus des lois françaises ?

On l’aura compris : mon hypothèse est que la haine pour tous ceux qui critiquent l’islam si peu que ce soit n’est pas le fait d’un petit nombre d’endoctrinés fanatiques, mais qu'elle est largement partagée, constituant le socle où viennent se reconnaître d’innombrables musulmans de France. C’est une tache d’huile qui se répand dans la "communauté musulmane". Il est donc vain, et même dangereux d’ergoter à l’infini sur la nécessité de bien distinguer « islamique » et « islamiste radical », dans l’intention vertueuse de ne pas « faire d’amalgame » et pour ne pas « stigmatiser » les pauvres musulmans honnêtes qui n’ont rien à voir avec tout ça.

La raison en est que la notion de « laïcité » est vécue comme un corps étranger incompréhensible par le corps tout entier de ce qui se dit musulman en France. Pour une majorité d’entre eux, je suis d'accord : c’est une loi française, on leur dit de la respecter, ils la respectent quoique sans la comprendre et surtout sans l’intérioriser. Sans trop de risque de se tromper, on peut dire que pour un musulman, la laïcité c’est de l’hébreu.

C'est d'ailleurs dans cette mesure que certains (Houellebecq, Redeker, etc.) peuvent soutenir que l'islam est la religion la plus ... disons "mentalement attardée" : dans le vaste mouvement de l'évolution, l'islam a décidé de s'arrêter à un point "p", même s'il y a d'innombrables exceptions locales ou individuelles. L'islam dominant d'aujourd'hui (je veux dire celui qui fait le plus de bruit) propose une civilisation qui s'est arrêtée il y a quelques siècles. 

Et les psychologues, les sociologues, les anthropologues auront beau me prêcher qu’il ne faut pas ci, qu’il ne faut pas ça parce que gna gna gna, je resterai convaincu de l’incompatibilité totale entre notre laïcité et cette « culture » coranique profondément ancrée dans l'esprit des croyants depuis bientôt mille quatre cents ans : il faut se convaincre, nous autres "vieux Français", que pour qu'un musulman de bonne foi comprenne l'idée de laïcité, il doit faire un effort immense.

Il n’y a plus de problème de laïcité en France, pays déchristianisé où les messes chevrotantes du dimanche ressemblent à des voyages du troisième âge : il n'y a que le problème de l’islam, résolument hermétique à la séparation du civil (social, politique, ...) et du religieux. La laïcité est en soi une négation de l'islam, et réciproquement. De Mila à Samuel Paty, c’est le même fil de haine.

Pour une mosquée fermée, pour quelques associations dissoutes, combien d’infatigables activistes en liberté travaillent au corps la communauté musulmane pour enrôler de nouvelles énergies ? Qu’ils soient wahabites ou salafistes importe peu : leur message est infiniment plus simple et efficace que la complexité odieuse d’une loi sur la laïcité que les Français eux-mêmes ne sont pas nombreux à comprendre. Les ignorants ont besoin de messages simples, rudimentaires, schématiques, et pour tout dire binaires.

Ce qui est sûr, c’est que pour un musulman, la laïcité, c’est de l’hébreu.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Juste pour mémoire, un billet écrit en juin 2019.

Note ajoutée le 10 décembre : Mila a été exclue de l'institution militaire qui avait accepté de l'héberger, au motif qu'elle ne peut se passer de s'exprimer sur les réseaux sociaux et que, cela étant, elle met en danger l'institution elle-même. Mila n'a pas tout compris, hélas.

vendredi, 13 novembre 2020

13 NOVEMBRE 2015 : MONUMENT AUX MORTS

C'ÉTAIT AUSSI UN VENDREDI.

***

Stéphane Albertini

Nick Alexander

Anne-Laure Arruebo

Thomas Ayad

René Bichon

Elodie Breuil

Claire Camax

Romain Didier

Fabrice Dubois

Mathias Dymarski

Germain Ferey

Romain Feuillade

Julien Galisson

Véronique Geoffroy de Bourgies

Nohemi Gonzalez

Anne Guyomard

Mathieu Hoche

Pierre Innocenti

Milko Jozic

Jean-Jacques Kirchheim

Marie Lausch

Gilles Leclerq

Christophe Lellouche

Antoine Mary

Fanny Minot

Yannick Minvielle

Marie Mosser

Hélène Muyal

Bertrand Navarret

Franck Pitiot

Caroline Prénat

François-Xavier Prévost

Richard Rammant

Valentin Ribet

Estelle Rouat

Raphaël Ruiz

Hodda Saadi

Halima Saadi

Madeleine Sadin

Kheireddine Sahbi

Hugo Sarrade

Djalal Sebaa

Fabian Stech

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Pardon à toutes les personnes, proches ou lointaines, qui ont connu ceux que je n'ai pas cités.

Le journal Le Monde avait édifié une sorte de monument à tous les morts du 13 novembre. Les journalistes avaient contacté les proches ou la famille des victimes et esquissé le portrait de chacune de celles-ci. Puissent les quarante-trois noms cités ici parler pour tous ceux qui n'y sont pas.

samedi, 02 mai 2020

« JE VOUS L'AVAIS BIEN DIT, SKRONYONYO ! »

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La revue "Le Un" du mercredi 29 avril dernier : « Et maintenant on change quoi ? ». Mais on ne change rien, mon bon monsieur ! Qu'allez-vous imaginer ?

***

Mais non, voyons, malgré le titre que j'ai trouvé, je n'ai nullement l'intention de faire la leçon à qui que ce soit. Je me permets juste de constater. Et de m'effrayer. Ce qui me terrasse dans cette crise dite « du coronavirus », c’est qu’on savait. On savait tout. On savait tout depuis très longtemps. On ne savait pas quand, on ne savait pas par où ça arriverait, mais on savait que ça arriverait. Depuis combien de décennies les lanceurs d’alerte font-ils retentir le tocsin ? Je suis sûr que des "collapsologues" comme Yves Cochet et Pablo Servigne jubileraient d'avoir eu raison si vite si l'actuel coup de Trafalgar mondial ne les laissait pas hébétés comme je l'ai été.

Où l'on constate que l'ennemi public n°1 de notre civilisation a trouvé sans hésiter le défaut de la cuirasse : plus elle ressemble au Colosse de Rhodes, plus le marbre de ses pieds se transforme en sable. On avait tout prévu, TOUT, sauf ... Depuis, tous les Grands Manitous de la planète se demandent comment on doit apprendre à se préparer pour prévoir l'imprévisible. Prévoir l'imprévisible ? Ah les sinistres comiques !!! Les guignols ! Le phénomène "gilets jaunes" était un sacré coup de semonce, monsieur Macron ! Descendez de votre perchoir, monsieur Macron ! Ouvrez les oreilles, monsieur Macron ! Prenez des décisions justes, monsieur Macron !

Ce dont je suis sûr, c’est que depuis l’ouverture du présent blog le 25 mars 2011, les billets publiés ici par votre serviteur n’ont pas cessé de pleuvoir concernant l’écologie, la protection de la biodiversité ou de l’environnement ; mais aussi la dénonciation de la logique ultralibérale, de la colonisation de toute la sphère économique par des malades et des aveugles lancés dans une course effrénée vers l’abîme, de l’empoisonnement des sols, de l’air, de l’eau et des hommes par une industrie chimique démesurée, de l’industrialisation à outrance des moyens de nourrir l’humanité, etc., etc., etc…

Ce qui me terrifie, c’est aussi qu’en un clin d’œil (disons du jour au lendemain) tous les pays industrialisés et l’ensemble de leurs populations ont pu abandonner leur criminelle insouciance pour renoncer brutalement et sans hésiter à tout ce qui n’était pas rigoureusement indispensable à la préservation de la vie. Brutalement convertis au survivalisme le plus caricatural (des stocks d'huile, de sucre et de PQ, mais la télé et les réseaux sociaux pour se "tenir au courant" : on sait jamais). On fait le dos rond en attendant que les choses se calment, mais il ne faudrait pas que ça tarde trop, les "jours meilleurs".

Alors je suis parti à la pêche dans les sables mouvants où se sont engloutis aussitôt écrits tous les billets que j'ai pondus sur le sujet depuis le début. Je n'ai pas eu à chercher bien profond. Je n'ai eu aucun mal à réunir quelques paragraphes où tentait de se dire une vérité explosive qui, depuis, nous a pété à la gueule : la façon dont l'humanité vit aujourd'hui nous entraîne collectivement vers la mort. Je n'ai pas voulu surcharger la barque. Et je n'ai pas sélectionné les plus significatifs.

Nous venons d'entendre de nombreux appels pressants à fonder un système économique mondial qui soit viable pour tous, moins inégalitaire et plus respectueux de l'environnement. Il était temps. Je rappellerai seulement qu'au cours de la crise financière de 2007-2009, nous avions déjà entendu vociférer tous les vertueux de la dernière heure convertis à la sagesse économique (Sarkozy ?) appelant à la régulation de la finance folle, et qu'on a hélas vu ce qu'il en est resté quand la fièvre est retombée. 

Je propose ici une petite piqûre de rappel, oh, presque rien, juste de quoi se souvenir que nous n'ignorons rien de l'enfer qui nous pend au nez et que nous fabriquons consciencieusement, jour après jour, de toutes pièces. Rassurez-vous, c'est à peine quelques pets de lapin sur une pente verglacée : c'est sans douleur. Autrement dit : c'est à pleurer.

***

16 novembre 2017

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Célèbre "une" du journal Le Monde du 14 novembre 2017. Célèbre et déjà aux oubliettes.

7 février 2018.

Le monde va-t-il bien ? Le monde va-t-il mal ? Le débat fait rage (un de plus, dira-t-on, voir au 2 février). Les uns ne voient, selon les autres, que le côté heureux des choses, sont heureux du monde dans lequel ils vivent et disent pis que pendre de Michel Houellebecq. Les autres souffrent, selon les uns, d’une sinistrose chronique aiguë, trouvent inquiétant tout ce qui arrive et sont allergiques à Michel Serres, le « ravi de la crèche » qui s’émerveille du génie et de l’inventivité de l’espèce humaine. [Au vu des circonstances, qui a raison, à votre avis ?]

23 mars 2018

Ils [les écologistes] rassemblent donc informations et documents, mais c'est pour en faire quoi ? Ils ne savent pas toujours bien. On trouve une documentations copieuse, mais éparse en provenance des forêts qui disparaissent ; des glaces du grand nord qui fondent plus vite que leur ombre, menaçant de submersion tout ce qui vit à proximité du littoral ; des eaux de surface des océans qui s’acidifient et se peuplent de continents de plastique ; de l’air que nous respirons dans les villes, qui améliore sans cesse le rendement de la mortalité humaine prématurée ; des camps d'extermination des insectes ouverts en plein air par les tenants de l'agriculture industrielle et productiviste ... j’arrête l’énumération. 

24 mars 2018

A part ça, aucun voyageur du train fou qui nous emporte ne pourra dire que le signal d’alarme était en panne : les sentinelles font leur boulot et ne cessent d’actionner la sirène. Ce qui inquiète, c’est plutôt qu’il n’y a pire sourd que celui qui refuse d’entendre, et que le signal d’alarme donne massivement l’impression de pisser dans un violon des Danaïdes, ce qui est, on l'admettra, peu convenable. 

25 mars 2018

Quel avenir ce tableau sommaire des préoccupations écologiques laisse-t-il entrevoir pour la planète ? J’ai envie de dire que, s’il y a une indéniable prise de conscience au sein de la communauté scientifique et parmi un certain nombre de voix en mesure de résonner dans les médias (je n'ai pas dit : en mesure de faire bouger les choses), le rapport des forces en présence et la lenteur pesante de l'évolution des consciences (ne parlons pas des intérêts en jeu, qui font résolument barrage) laissent mal augurer de nos lendemains.  

4 septembre 2018 (en rapport avec la "une" du Monde reproduite ci-dessus).

Les cris d'alarme se suivent et se ressemblent. Parions qu’ils figureront un jour en bonne place dans la série "Ronds dans l'eau". Les appels ont une efficacité – on le constate tous les jours – de plus en plus nulle. Non, je le reconnais, je ne suis pas optimiste. Le pire, c'est que je crois que j'ai raison.

Il n'y a rien de plus urgent que de changer tout le système, mais rien ne sera fait : les USA quitteront les accords de Paris, Nicolas Hulot prendra acte de sa complète impuissance à influer sur le cours des choses et quittera spectaculairement le gouvernement d'Emmanuel Macron.

Il n'y a en effet rien de plus urgent. Je dirai même que c'est la seule et unique urgence qui devrait mobiliser toutes les énergies (renouvelables). C'est peut-être infiniment vrai, mais les chars d'assaut de la politique (lieu des rivalités de pouvoir) et de l'économie (lieu privilégié de l'exercice de la rapacité) – les vrais pouvoirs – ne s'en laisseront pas conter : « Les affaires sont les affaires ».

Sans compter que les populations qui bénéficient d'un mode de vie confortable (moi compris) refusent toute perspective de régression matérielle. Et que les populations qui n'en bénéficient pas encore ont la volonté farouche d'y parvenir à leur tour.»

***

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"Notre humanité délire." Tu l'as dit, bouffi ! Extrait de la une du "Un" ci-dessus.

***

La crise du coronavirus me met en rage : on sait tout, on a maintenant la preuve que nos façons de procéder avec le monde qui nous entoure sont guidées par la folie, et on ne fera rien, sinon serrer encore la vis à ceux qui ont le moins de pouvoir.

Je dois avouer que je n'ai moi-même pas très envie de changer de mode de vie. Les gens, à la Croix-Rousse, se sont déjà remis à se répandre dans les rues comme aux plus beaux jours de l'insouciance. La population dans son ensemble ne voit pas comment on pourrait faire autrement qu'avant. Qui accepterait plus qu'hier de se voir imposer des limites à ses désirs ? Et toutes les forces existantes n'attendent que le moment de reprendre leur existence comme avant. Le monde entier attend de pouvoir retrouver une

VIE NORMALE.

***

Au fond, je vais vous dire :

le présent blog ne sert strictement à rien.

Dit autrement : on ne convainc que les convaincus.

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« Plus de fric pour le service public ». Il y en a qui ne doutent de rien.

Les individus qui ne sont pas d'accord sont rigoureusement impuissants face au système dont ils ont perçu l'aberration fondatrice. 

La crise actuelle me renvoie à mon quasi-néant.

mardi, 14 avril 2020

MÉSAVENTURE D'UNE PUBLICITÉ

EMMANUEL MACRON L'A DIT :

« SACHONS DANS CE MOMENT SORTIR DES SENTIERS BATTUS, DES IDÉOLOGIES ET NOUS RÉINVENTER. MOI LE PREMIER ».

"MOI LE PREMIER."

« Tu l'as dit, bouffi ! »

(Arsène Lupin, quand il s'adresse à l'inspecteur Ganimard).

Attention, monsieur Macron. C'est tombé dans les oreilles d'au moins trente-cinq millions de "soutiers" qui font avancer le navire "France" au quotidien. Attention, monsieur Macron, les soutiers du navire "France" ne sont pas sourds. Ils vous ont écouté. Ils vous ont entendu. Ils s'en souviendront. J'espère que vous savez ce que les mots veulent dire ! En cas de manquement à la parole, les soutiers de la République n'oublieront pas, et ils se chargeront de vous coronavirer à grands coups de pied virtuels dans les burnes électorales.

Dernière chance, monsieur Macron ! 

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En attendant le « retour des jours heureux » (le président dixit), voici un petit moment de déconfinement virtuel.

Voici la photo d'une publicité pour Bouygues qui occupait une page entière du journal Le Monde daté vendredi 10 avril 2020.

2020 04 10 1.jpg

On se dit que la fille sur la photo a effectivement un besoin urgent de l'aide de ses copines, vu la gueule qu'elle a, qu'on se demande le genre de saloperie qu'elle a prise, peut-être en pratiquant l'embrassade à l'aveugle au cours d'une partie de colin-maillard, au mépris de tous les gestes barrières et des règles de la distanciation sociale en pleine épidémie de morbus gravis ou de tabès dorsalis. En tout cas, elle a mis la frimousse où il ne fallait pas.

On regarde ça (page de droite oblige, c'est là que sont les pubs), et puis on regarde la page de gauche, où l'on trouve en général les articles, parce que c'est la page qu'on regarde en dernier (ne me demandez pas pourquoi). Et voici ce qu'on y voit, sur la page de gauche, exactement en face. L'encre n'était pas sèche. C'est ballot, hein !

2020 04 10 2.jpg

On comprend tout de suite où la fille de la publicité a chopé ces vilaines taches rouges sur la figure.

Ce n'est certes pas moi qui reprocherai au Monde de saboter une publicité pour Bouygues.

samedi, 11 avril 2020

QUI EST UN HÉROS ?

MERCI AUX HEROS.jpg

Cette publicité occupe la dernière page d'un supplément du journal Le Monde daté 10 avril 2020. Il s'intitule "Journal de crise des blouses blanches" et est bourré de témoignages jour par jour des multiples soignants qui interviennent contre le Covid-19. L'annonceur est une banque "mutualiste", mais quand même soutenue par la Société Générale. Je sais déjà ce que Le Monde me répondrait : « Il faut bien vivre, mon pauvre monsieur ».

Non, le Covid-19 (alias coronavirus, alias SARS-Cov-2) n'a pas besoin de héros pour cesser de nuire et de tuer. Et je ne crois pas que les personnels de santé qui font tout ce qu'ils peuvent pour empêcher les gens de mourir attendent qu'on les considère comme des héros.

Les poilus de 1914 non plus n'étaient pas des héros : en allant au casse-pipe, ils obéissaient aux ordres, ils faisaient le boulot qu'on leur ordonnait de faire. Romain Gary, qui a fait la dernière guerre dans l'aviation de chasse, a toujours refusé d'être considéré comme un héros, mais comme un pilote de chasse qui faisait son boulot. Joseph Kessel disait à peu près la même chose.

Et qui se souvient de JEAN MARIDOR ? Si son nom est resté gravé dans ma mémoire, c'est seulement parce qu'à l'époque où j'ai découvert son action dans le ciel de Londres quand les nazis, en 1944, tentaient d'écraser la ville sous une pluie de V1, je devais avoir douze ou treize ans, c'est-à-dire l'âge où un garçon a besoin de héros pour modèles. Je n'ai jamais oublié les quelques syllabes sonores de ce nom facile à prononcer. Quelque soixante ans après, il me tient toujours compagnie. 

JEAN MARIDOR.jpg

Photo encyclopédie en ligne.

Jean Maridor faisait son boulot de pilote de chasse, et il le faisait plutôt bien : lancé à la poursuite d'un V1 dès qu'il le repérait, il glissait le bout de l'aile de son Spitfire sous un aileron de la bombe volante, et d'un brusque mouvement du manche à balai la faisait basculer pour qu'elle explose quelque part dans la mer ou dans la campagne. Un jour, la bombe, mitraillée de trop près, lui a explosé au nez : ça ne pardonne pas. Il avait vingt-quatre ans. Aurait-il eu envie qu'on le qualifie de héros s'il avait vécu ?

Non, les soignants n'attendent pas qu'on les qualifie de héros : ils font le boulot pour lequel ils ont été formés et pour lequel ils sont (très souvent mal) payés. Les professions de santé attendent juste que la société leur donne les moyens d'exercer leur métier dans des conditions satisfaisantes. L'aura particulièrement lumineuse dont les circonstances entourent ces professions en ce moment devrait nous faire comprendre qu'elles font avec quelques autres partie des soubassements intouchables (il faudrait dire "sacrés") qui permettent à tout le corps social de continuer à tenir debout.

Le scandale dans la situation actuelle tient à ce que, depuis au moins un an (et plus), on voit les blouses blanches manifester dans les rues, on les entend appeler à l'aide et lancer des cris de détresse, précisément pour que les moyens soient enfin portés à la hauteur des besoins. Si on ne les entend plus ces jours-ci, il faut les excuser : ils sont un peu occupés. Il faut vraiment être sourd ou "non-comprenant" pour n'avoir pas compris ça en haut lieu.

Le soir à vingt heures, je n'applaudis pas des héros : j'applaudis des gens qui font leur boulot comme ils ont conscience qu'ils doivent le faire en tout temps.

 

Macron, fais quelque chose !

Et pas pour aujourd'hui ou demain :

POUR TOUJOURS !

lundi, 06 avril 2020

DES MOYENS POUR L'HÔPITAL PUBLIC

ADRESSE AU PRÉSIDENT MACRON ET A SES SEMBLABLES.

EVACUATION HELICOPTERE ORLY 3 AVRIL.jpg

Photo parue dans Le Monde, 5-6 avril 2020.

Pas moins de huit personnes pour entourer le brancard perfectionné. Voilà ce que ça veut dire, Monsieur Macron, "investissement pour l'hôpital public".

Oui, monsieur Macron, voilà pourquoi je suis en colère. Très en colère. Pour dire vrai, je bous de rage.

Car voilà, monsieur Macron, les moyens qu'il faut à l'hôpital public pour que la France puisse faire face aux imprévus sanitaires : des moyens financiers et du personnel hospitalier en nombre. Seulement, pouvez-vous comprendre que l'hôpital est tout sauf une entreprise ? Que la raison d'être de l'hôpital public n'est pas d'être rentable ? Que l'hôpital public se définit comme un Bien Commun inaliénable ?

C'est vous, monsieur Macron, qui avez parlé d'un « plan massif d'investissement pour l'hôpital public ». 

Vous l'avez dit, mais tiendrez-vous parole ? J'espère que l'article de Laurent Mauduit sur Mediapart (1er avril 2020) servira de "geste-barrière". Le contraire serait trop terrible. J'espère que vous renoncerez à n'être que l'ultralibéral qui cause, qui cause, c'est tout ce qu'il sait faire.

***

Il faut absolument lire, dans le même numéro du Monde l'article intitulé "Carnet national", signé par « Pascale Robert-Diard, avec l'ensemble de la rédaction du "Monde", du monde.fr et de nos correspondants régionaux ». On a du mal à s'en remettre. L'auteur a compilé les avis de décès publiés dans la presse régionale. On y apprend, entre autres, que dans L'Alsace (journal du Haut-Rhin), les avis de décès parus du 18 au 28 mars 2019 étaient au nombre de 241. Sur la même période, mais en 2020, on en compte 620.

***

Réveillez-vous, monsieur Macron ! Prenez conscience, monsieur Macron ! Il est encore temps, monsieur Macron !

mercredi, 04 mars 2020

THELONIOUS MONK, L'UNIQUE

2020 HORVILLER PANNONICA.jpgJe viens de lire La Baronne du jazz (Steinkis, 2020), où Stéphane Tamaillon au scénario et Priscilla Horviller au dessin retracent l’existence hors du commun de la baronne Pannonica de Koenigswarter. Je savais depuis lurette ce que cette femme avait représenté pour le pianiste Thelonious Monk, dont elle a hébergé les dernières années avec un impeccable désintéressement.

J’ignore qui a eu l’idée de demander une préface au formidable Francis Marmande, qui fait l’honneur depuis longtemps au journal Le Monde d’écrire de temps en temps des chroniques constamment excellentes sur le jazz (la tauromachie semble avoir disparu de la ligne éditoriale). Le choix du préfacier est d’autant plus judicieux que Marmande sait parler du jazz de façon juteuse. Voilà un talent multicarte : professeur émérite, écrivain, contrebassiste, etc. J’apprends ici qu’en plus, il est pilote d’avion. Et qu’il vient de perdre sa mère (Le Monde, 29 février 2020). Mes condoléances, monsieur Marmande.

J’avoue que sans Thelonious Monk, mon intérêt pour la vie de la baronne serait beaucoup plus mince. Je garde essentiellement son rôle de bienfaitrice d’un musicien dont la vie quotidienne fut souvent épineuse pour son entourage. Oui, c’est une femme qui n’avait pas froid aux yeux, une femme de caractère, une femme libre surtout, mais en fin de compte peu importe. Son plus grand mérite à mes yeux est d’avoir été à la hauteur du génie de Thelonious Monk (et de quelques autres), qui opérait alors dans un domaine méprisé par beaucoup : le jazz. J’espère que la publication du volume est portée plus par l’intérêt pour la dame et le jazz que par la furieuse interrogation féministe du moment : « Mais dans quels placards l'histoire a-t-elle fourré les femmes ? ».

Martial Solal a beau affirmer (on trouve ça dans Ma Vie sur un tabouret, Actes Sud, 2008) que Thelonious Monk n’était pas un pianiste, je le tiens justement quant à moi pour un grand pianiste, mais qui avait ceci de particulier qu’il ne jouait que les notes qu’il entendait. Je n’ai rien à ajouter à la gloire de Martial Solal, sa virtuosité étant si étourdissante que beaucoup d’amateurs attendent seulement de lui qu’il leur procure l’éblouissement à force de trouvailles nouvelles, de vélocité confondante et de ces multiples citations dont il truffe ses improvisations et que seuls les férus de jazz sont à même de repérer et d’apprécier. 

Mais ce qu’il dit de Monk me semble carrément injuste. Dans un papier du Monde (24 avril 1996), Francis Marmande l’écrit, s’attardant sur le fait que les mains du pianiste étaient surchargées de grosses bagouses (qu’il n’a pas toujours portées, les photos en font foi) apparemment encombrantes : « Or Monk est très net sur cette question : il dit de ses bagues qu’elles le protégeaient de la virtuosité ». C’est peut-être une boutade, mais c'est une réponse anticipée au coup bas de Martial Solal. La virtuosité n'est pas le Graal ultime des amateurs de jazz (je pense à Good Bye Porkpie Hat, chef d'œuvre de Charles Mingus dédié à Lester Young).

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Visez les bagues. Et notez la forme des doigts sur le clavier, conforme à la vérité.

C’est donc à cause de Thelonious Monk que je suis heureux de pouvoir lire le récit en bande dessinée de la vie de Pannonica de Koenigswarter. C’est le prétexte qu’il me fallait pour évoquer ici cette figure centrale de la musique du vingtième siècle, tous genres confondus. Pour ce qui est du piano, je le place dans le digne voisinage du Olivier Messiaen des Vingt regards sur l’enfant Jésus et du Catalogue d’oiseaux (en pensant aux oiseaux de Messiaen, j'entends Trinkle Tinkle).

Sa figure sociale occulte parfois sa musique : son goût pour les chapeaux les plus extravagants, qui l’a fait surnommer « The mad hatter » (le chapelier fou), ses « excentricités » sur scène, lorsqu’il se levait pour faire le tour du piano ou se lançait dans une « danse de l’ours », mais surtout l’extraordinaire mutisme musical qui a frappé toutes les dernières années, celles qu’il a passées chez la baronne Pannonica, tout cela entoure sa personne d’une aura d’étrangeté qui fait que les gens superficiels oublient de l’écouter.

1971 BLACK LION 1.jpg

Le "chapeau chinois" des sublimes séances Black Lion à Londres en 1971.

Thelonious Monk n’est certes pas un pianiste comme les autres. En dehors de ses « bizarreries » existentielles, il fut en effet un prodigieux compositeur de thèmes. Alors c’est sûr, des mélodies biscornues, difficiles, cahoteuses, avec plein de cailloux dans la hotte, de surprises dans la trajectoire, de hoquets dans la déglutition. Francis Marmande : « La musique de Monk ne fait aucun cadeau. Elle est sèche, riche, impensable, on n'en voit que l'iceberg » (Le Monde, 21 mars 1988). La partie immergée de l'iceberg, ce sont toutes les notes que Monk ne joue pas, et qui rendent fous ceux qui veulent jouer sa musique. La musique que joue Thelonious Monk est une musique exclusivement nécessaire.

S’agissant de l’invention mélodique du musicien, je me contenterai de reprendre les mots de son fils (« Tootie ») dans son livre Thelonious Sphere Monk, cité par Ponzio et Postif dans Blue Monk (Actes Sud, 1995). Le contexte : Monk a passé toute sa journée au piano, à ressasser Between the Devil and the Deep Blue Sea, chanson de 1931 ou 1932, devenue un classique – on dit « un standard »), puis se rend au club où il joue : « Alors il arrive au club, il s’assied au piano et commence Between the Devil and the Deep Blue Sea. Rouse [le saxophoniste de Monk] et les autres réalisent qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire. Et ce qui se passe, c’est que Thelonious joue Between the Devil … pendant à peu près quarante minutes d’affilée. Or c’est une petite chose qui doit faire vingt-quatre mesures et il le joue pendant presque trois quarts d’heure sans jamais se répéter. On aurait pu entendre une mouche voler. C’est ce soir-là que j’ai réalisé ce que c’est qu’un génie de la musique : il prend une petite mélodie et il la tord. Chaque fois qu’il la courbe dans un sens, on se dit ça y est, il ne peut pas faire mieux : il la fait ronde, il la fait carrée, il la met en hélice, il la rentre dans un pas de vis, il la met dans une toute petite boîte, il l’étale dans l’espace … et chaque fois, il reprend au début et il la joue d’une façon encore différente » (p.319). C’est son père, certes, mais il a quand même de bonnes oreilles.

Quant à la stratégie harmonique de ces morceaux, je n’aventurerai pas un orteil sur le terrain de la simple description : d’autres, bien plus savants que moi, s’y sont essayés avec plus ou moins de bonheur, s’ils ne s’y sont pas cassé les dents. Je me rappelle une remarque faite par un certain Michel Perrin, auteur d’une histoire du jazz dans le Livre de Poche que j’avais lue il y a fort longtemps. Imprégné de jazz New Orleans, de jazz Chicago, d’Ellington et de « swing », il faisait ce reproche à Monk : « Quand vas-tu la trouver, ta trouvaille ? » (je cite de mémoire, mais c’est vraiment ce jeu-là sur ces mots-là).

Combien de thèmes le jazz (je devrais dire la musique) doit-il à Thelonious Monk ? Si je fais le tour des CD qui sont sur mes rayons (une trentaine), j’arrive à une soixantaine de titres, une fois défalqués doublons, reprises et prises alternatives. J'ajoute les hommages de quelques "pointures" (Larry Gales, Paul Motian, Ran Blake, Tommy Flanagan, ...). Je n’ai donc pas tout, mais ce n’est pas si loin que ça de ceux dûment répertoriés par Yves Buin dans son Thelonious Monk (je l’ai dans l’édition du Castor Astral, 2002), qui en compte 71 (+1) ou par Ponzio et Postif dans leur Blue Monk (Actes Sud, 1995), qui poussent jusqu’à 81.

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Quels thèmes préférer ? Bouteille à l’encre, messieurs-dames. Il faut évidemment citer Pannonica, dédié à la baronne, Crepuscule with Nellie (Nellie est l'épouse de Thelonious), 'Round about midnight, le plus connu, Trinkle tinkle, Eronel, ... Le principal, quand on écoute le piano de Thelonious Monk, c'est qu'on entre dans un univers, un univers cohérent, dont tous les éléments découlent d'un principe central qui reste mystérieux : appelons ça l'inspiration du compositeur. Pour moi, ce sont des mélodies qui me sont entrées dans l’oreille interne, dans les vaisseaux du cœur et du cerveau, et jusque dans les boyaux de la tête. J’avoue que, hormis quelques pièces qui courent les émissions de jazz et les rétrospectives, j’ai parfois du mal à replacer le bon titre sur le bon morceau : je n’ai pas la tête à ça. Ce que je peux dire, c’est que j’entends dans la seconde les doigts de Thelonious Monk quand un « média » a la bonne idée de le programmer. Il y a des témoins.


3'54"

Pannonica, le morceau baptisé du prénom de l'admiratrice fervente de la musique de Thelonious Monk (version piano solo).

Beaucoup de pianistes se sont essayés à la technique harmonique de Thelonious Monk. Je le dis sans crainte d’être contredit : Thelonious Monk n’a pas d’imitateur. Pour jouer Monk, « il faut des pointures qui ont joué avec Monk, des humbles qui en savent l'esprit, qui savent encore un peu de celui du jazz » (Francis Marmande, Le Monde, 21 mars 1988). Monk ne saurait être imité : la musique qu’il produit est exclusivement celle qu’il entend dans sa tête, celle qu’il veut entendre, ce qui veut dire faire entendre. Il se moque de tout le reste : quelles notes enlève-t-il pour que ça ne ressemble à rien d'autre ? Personne n’est entré dans cette tête énigmatique. Elle a fait son boulot sur la Terre en produisant la musique qu’elle recelait : n’en demandez pas plus. Et puis un jour, elle s’est arrêtée de produire : elle était vide (c’est mon idée : Monk avait tout donné, rincé jusqu’au trognon sec). Il reste que ce grand Monsieur a donné à l’humanité infiniment plus que celle-ci ne lui a rendu.


9'04"

Le même avec en plus Charlie Rouse (saxo), Larry Gales (basse) et Ben Riley (batterie), les compagnons de route.

Alors la BD sur Pannonica de Koenigswarter (1913-1988), à présent ? Elle est intéressante : le personnage vaut le détour. Il faut du culot en effet pour naître dans une famille protégée des aléas de la vie par le mur de la fortune, et ne s’intéresser qu’à ce qui n’est pas convenu. Par bien des côtés, elle n’était pas « comme-il-faut ». En particulier, elle est tombée assez tôt dans cette musique inventée par les descendants des esclaves noirs aux Etats-Unis, cette musique qui s’est appelée le jazz. Pour une "lady", ça fait tout de suite mauvais genre.

Dans ce livre qu’on pourrait qualifier de « biopic », le scénario de Stéphane Tamaillon rend justice à l’excentricité du personnage, soulignant son goût de l’aventure et son mépris du qu’en-dira-t-on, qui font qu’elle a du mal à se faire à son statut de mère et de « Dame de la Haute », qui a, du fait de son mariage avec le baron de Koenigswarter, quatre-vingts personnes à son service, dont elle ne connaît même pas la moitié.

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La chaumière natale de Pannonica (Waddesdon).

On assiste à la montée de l’antisémitisme, aux menaces de plus en plus grandes qui pèsent sur la paix mondiale. La famille subit les événements de plein fouet, mais s’installe à New York, là précisément où bat le cœur du jazz. La séparation des époux interviendra, comme si la vie délivrait enfin à la baronne l’autorisation de se livrer pleinement à ce qu’elle préfère : la musique extraordinaire que produisent ces êtres à part que sont les musiciens noirs.

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La baronne Pannonica de Koenigswarter à côté du grand homme (photo publiée dans le livre d'Yves Buin, Castor astral, 2002).

C’est chez elle que meurt brutalement le saxophoniste Charlie Parker : il me semble que Clint Eastwood inclut la scène dans Bird, le film qu’il a consacré au musicien mort à trente-cinq ans. Et c’est chez elle que se réfugie Thelonious Monk, pour vivre les années qu’il lui reste à vivre. Chez elle, où il cessera un jour carrément de toucher au piano. Dialogue : « Tu n’en as pas assez de passer tes journées à dormir ou à regarder voler les pigeons, Thelonious ? – Que veux-tu que je fasse d’autre ? – Jouer du piano ? – Non, je n’ai plus envie. » Cet échange proposé par Stéphane Tamaillon est plausible. J’avais lu ailleurs que Thelonious Monk passait au milieu de sa chambre ou du salon des heures debout immobile.

Quant au dessin de Priscilla Horviller, même si je ne raffole pas de ce style personnellement, je dois reconnaître la grande probité du trait, qui n’en rajoute pas dans les effets : des pages sobres et qui vont à l’essentiel. A tort ou à raison, je perçois de la féminité dans l’approche. Et je me permettrai un reproche, dans les expressions des visages, visiblement marquées par l’influence japonaise des mangas, ce qui aurait plutôt tendance à m’horripiler : la grimace m'indispose. Mais il y a de vraies belles images qui font oublier ce détail.

P140.jpg

Un beau dessin : Thelonious Monk, perdu en lui-même, muet, il a tout dit : il n'y a plus d'abonné au numéro que vous avez demandé.

Quoi qu’il en soit, merci aux auteurs pour l’excellent moment que je viens de passer en compagnie de l'un des quelques musiciens qui occupent le sommet de mon panthéon musical.

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Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 15 janvier 2020

2020 : VIVE LA CENSURE !

2

POUR LE DROIT DE HEURTER TOUTES LES SENSIBILITÉS

La même déconvenue a touché Keira Drake, auteur américain de romans pour adolescents. Sa faute à elle ? « Dans un monde futuriste, une jeune femme se retrouvait prise au piège au milieu d’une guerre entre deux peuples ». Quand des extraits sont publiés, la furie embrase Twitter : « Raciste ! ». La description des deux peuples, trop « stéréotypée », fait de l’un des Amérindiens et de l’autre des Japonais. Finie la « belle peau bronzée », finie la « peau brun rougeâtre » : la dame accepte que son livre soit réécrit sous l’œil d’un « sensitivity reader ». Capitulation en rase campagne : elle « présente ses plus plates excuses ».

Tout ça se passe en Amérique, dira-t-on. Soit, mais les éditeurs français ont déjà pris le pli. Sigolène Vinson a écrit un livre où elle décrit un petit garçon de 12 ans, en s’efforçant de donner une existence concrète et sensible à son personnage. Le manuscrit lui revient avec dans la marge ce commentaire de l’éditrice : « Erotisation du corps d’un enfant ». Par les temps qui courent, c’est plutôt dangereux. 

Résultat ? Sigolène Vinson s’arrache méthodiquement les cheveux, « parce que je n’arrive pas à me résoudre à ne lui donner que deux bras, deux jambes ». Ce qu’elle voudrait, c’est décrire « ses pieds », « sa nuque, son odeur de sel, de sueur surtout ». L'odeur corporelle. Ni une silhouette, ni un schéma, ni un stéréotype : une vraie personne qui vit et qui respire, quoi.

Alors que fait l’écrivain ? « Mais voilà, j’efface de mon roman toute trace d’un désir que je n’ai pas pour les petits garçons. Ma confiance sapée, je m’interroge sur mes autres personnages. Ai-je le droit d’en avoir un gros alors que je ne le suis pas ? Une mère alors que je ne connais rien du bonheur ou de la souffrance d’en être une ? Un vieux alors que je suis encore jeune, heureusement plus pour très longtemps ? Un Algérien alors que je ne suis que la petite fille d’un porteur de valise du FLN ? ». Elle est là, la censure ! La censure, c'est ce que dessine le même Foolz (?) (voir hier et ci-dessous).

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Sigolène Vinson cite dans son article Manon Fargetton, qui écrit pour les adultes et la jeunesse : « Comment refléter le réel dans sa complexité. J’ai une vraie  envie de diversité dans mes romans. J’ai envie que des lecteurs s’y retrouvent, et en même temps, j’ai toujours peur de voler l’espace d’une communauté ou d’une autre. Et s’imposer des quotas n’aurait aucun sens ».

Vous vous rendez compte : « voler l’espace d’une communauté » ! Jusqu’où ira cette dégringolade de la qualité des relations sociales et des conditions de la vie en collectivité ? Dans quelle misère vivons-nous, quand un auteur se sent coupable parce qu'il se dit, en écrivant sa littérature, qu'il est en train de "voler l'espace d'une communauté" ? Pour les quotas, je suis entièrement d'accord : c'est absurde en toute circonstances, élections comprises (vous savez, "parité" obligatoire, "visibilité" des minorités, etc.).

Quel monde, quand l’auteur d’un ouvrage d’imagination se demande s’il a le droit d’imaginer ? Quand les auteurs d’œuvres littéraires craignent par-dessus tout de déplaire à telle ou telle catégorie de la population à laquelle ils ont oublié de penser ? Quand tous les gens normaux commencent à faire dans leur tête la liste de tous les gens dont il faut se garder de heurter la sensibilité ? La liste de tous ceux qui ont l’épiderme tellement sensible qu’à la moindre allusion dont ils peuvent se froisser, ils voient leur petite personne envahie par une urticaire narcissique géante ? La liste de tous ceux qui trouvent ça si insupportable qu’ils crient à l’assassin et appellent Police-Secours ?

C’est cela que Riss, dans son éditorial, dénonce, même s’il met des guillemets, c’est cela qu’il n’ose plus proférer sans guillemets, même si ça le démange : « "couille molle, enculé, pédé, connasse, poufiasse, salope, trou du cul, pine d’huître, sac à foutre" ». Hélas, Riss lui-même semble se garder de heurter de front ces épidermes ultrasensibles qui le dégoûtent. Trop dangereux, se dit-il peut-être. Il n’a pas tort de se méfier : le Code Pénal veille, grâce à la surveillance méticuleuse des "associations" féministes et des "associations" homosexuelles.

Le vrai Charlie, le grand Charlie se foutait pas mal de « heurter les sensibilités ». Il les piétinait, les sensibilités, et joyeusement, et férocement. C'est notre époque qui a inventé ce geste ridicule censé mettre des guillemets à ce que la personne qui parle est en train de dire. Vous l'imaginez, Cavanna, vous l'imaginez, Choron, en train de plier vite fait deux doigts de chaque main pour atténuer la brutalité des mots qu'ils éructaient ?

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Ça, c'est quand Sadate a rendu visite à Begin (1977), et c'est en "une". « Raciste ! », « Antisémite ! ».

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"Le journal qui n'a pas peur des bombes. Les Corses sont des cons ! " Il fallait oser, parce que ça pétait à l'époque (1975) !

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Un tel dessin (Wolinski, 1978) serait-il seulement possible aujourd'hui ?

Elle est là, la liberté ! Le grand Charlie balayait d’un revers de la moustache de Cavanna les foutaises du genre : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Quelle ineptie et quelle sottise !! Mais pauvre pomme, répliquerait Cavanna, tu ne vois pas que les gens, dans la vraie vie, n’arrêtent pas de se frotter aux autres ? De se griffer l'épiderme ? De se frictionner le pelage ? De se piétiner les godasses du matin au soir ? D’empiéter sur l’espace des autres et de voir violer leur propre espace aérien par des missiles envoyés par autrui ? De se jauger ? De s'épier ? De se juger les uns les autres ? Le quotidien, si on sort un peu de chez soi, ce n'est que heurts, cognements, attractions, répulsions, intersections, transactions, rencontres. Ce n'est rien d'autre que la vie.

La liberté d’expression est en train d’étouffer sous le poids de la sottise abyssale d’un crétinisme jaloux de ses prérogatives mortifères : le droit de chacun à vivre dans sa bulle, dans le cocon de l' « identité » sacralisée qu'il s'est tissée, sans que quiconque ose formuler le moindre propos qui effleure sa sensibilité particulière à rebrousse-poil. Le droit de chacun à vivre en chien montant une garde féroce devant son petit lopin. A vivre dans un monde où il règne, obligeant les autres à se rogner les griffes. Un monde où ils mordent quand les autres ont été contraints de se limer les dents. "Incitation à la haine en raison de ..." vous confisquera la parole.

Cavanna et Choron ? Ils passaient beaucoup de temps à se voler dans les plumes, à s'invectiver, à s'injurier, et tout ça fraternellement. Pour ça qu'ils se proclamaient « BÊTES ET MÉCHANTS ». Ils ne concevaient pas leur propre vie lisse et fluide, mais bourrée de rudesses et d'aspérités. Et bourrée de vitupérations, d'éclats de rire et d'une intense joie de vivre. Vous les imaginez, Cavanna et Choron, en éteignoirs ? En rabat-joie ? En employés des pompes funèbres ? En chœur des pleureuses ?

Dans cette exigence de "ne pas être heurté dans sa sensibilité", j'entends comme un caprice d'esthète, une commination d'Ancien Régime : « Manants, passez au large ! Du respect pour mon auguste personne, mille diables ! ». Dans cette conception fliquée de la vie en société, je vois des gens dont la vie se déroule selon des parallèles qui ne se rencontrent que provisoirement ou par l'effet d'un "clinamen" (potassez votre Lucrèce). C'est ça, une société ? Peut-être, mais c'est une société éteinte : encéphalogramme plat.

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Dessin de Fournier, Charlie Hebdo n°2, 30 novembre 1970.

La liberté d’expression est en train de crever de cette folle exigence des individus d’être bien à l'abri des interpellations, épargnés par le tumulte du monde et par les avis non autorisés que les autres (tous les autres) portent sur eux, leurs opinions, leurs façons de faire et de vivre. Autrement dit d’être épargnés par la liberté d’expression des autres (tous les autres). Le projet secret de toutes ces petites communautés qui portent plainte à la moindre « atteinte à leur dignité », c’est d’abord et avant tout de faire taire les avis divergents. Plus personne n'accepte d'être jugé par ses semblables, mais tout le monde s'érige en juge de ses semblables : « J'ai tous les droits ». Comme dit André Marcueil quelque part dans Le Surmâle : « Il faut du bruit pour les faire taire ! ».

Et le Charlie Hebdo du 7 janvier 2020 a beau écrire en grosses lettres sur son plastron « Nouvelles censures … Nouvelles dictatures », ce n’est pas Charlie Hebdo qui sauvera la liberté d’expression. Tout simplement parce que Charlie Hebdo n’ose pas (n'a plus les moyens de ?) poser des noms précis sur ces « nouvelles dictatures ». Cela m’écorche la bouche de le dire, mais c’est Nicolas Sarkozy qui, quand il était président, fustigeait la « dictature des minorités ». C'était Sarkozy, mais c'est lui qui avait raison.

Il ne s'agit pas de revendiquer le "Droit au Blasphème". Qui, en dehors des musulmans, se soucie du blasphème ? Il faut proclamer bien haut le droit imprescriptible de chacun à heurter toutes les sensibilités, à commencer par celle des « associations tyranniques » et des « minorités nombrilistes » (tout le monde a compris dans quelle direction porter son regard, mais chut !). Il faut maintenant penser très sérieusement à rédiger une

DÉCLARATION DU DROIT DE HEURTER TOUTES LES SENSIBILITÉS.

Y compris celle des handicapés, des mongoliens, des pains de sucre, des présidents de la république, des pédés, des yaourts aux fruits, des ministres, des juifs, des huîtres de Cancale, des gonzesses, des musulmans, des curés, des mémés, des tickets de métro usagés, des pépés, des mourants, des immigrés, des poulets aux hormones, des noirs, des SDF, des victimes d'attentats, des affamés du tiers-monde, des blocs opératoires, des noyés de la Méditerranée ... et des ratons laveurs.

Car si je vous disais tout ce qui heurte MA sensibilité, on serait encore là à Noël. Mais ça, tout le monde s'en fout.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : comme hier, je me refuse, par compassion, à dire quoi que ce soit du travail des dessinateurs de l'actuel Charlie Hebdo. Mais franchement, qu'est-ce que c'est laid !

mardi, 14 janvier 2020

2020 : VIVE LA CENSURE !

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Cinq ans après la tuerie de Charlie Hebdo et l'assassinat de Cabu, Wolinski, Maris et les autres, la revue rend hommage à l'équipe décimée. Daté 7 janvier 2020 pour le symbole (le mercredi, jour normal de parution, tombait un 8), le numéro est entièrement consacré aux nouvelles formes de censure ("Nouvelles censures... Nouvelles dictatures).

Vaste programme, me suis-je dit. Contrairement à mon habitude, j'ai acheté ce n°1433 : je voulais me faire une idée un peu précise de l'idée que la rédaction actuelle de l'hebdomadaire se fait de la défense de la liberté d'expression, qui formait l'ADN de ses membres fondateurs en 1970. Cavanna, Choron, Gébé, Cabu, Reiser : vous pouviez compter sur ceux-là pour la faire entrer en action, la liberté d'expression.  

Résultat des courses ? Eh bien on peut dire que les temps ont changé. L'équipe actuelle de Charlie Hebdo a la liberté d'expression en vénération, c'est sûr, mais c'est beaucoup moins un vrai et sincère choix d'existence qu'une statue en or devant laquelle il convient de se prosterner. Comme si la liberté d'expression était devenue un simple lieu de mémoire. Si je parle de "choix d'existence" c'est en pensant d'abord à Cavanna et Choron.

Oh, on ne peut pas dire que l'intention n'y est pas : « Hier, on disait merde à Dieu, à l'armée, à l'Eglise, à l'Etat. Aujourd'hui, il faut apprendre à dire merde aux associations tyranniques, aux minorités nombrilistes, aux blogueurs et blogueuses qui nous tapent sur les doigts comme des petits maîtres d'école quand au fond de la classe on ne les écoute pas et qu'on prononce des gros mots : " couille molle, enculé, pédé, connasse, poufiasse, salope, trou du cul, pine d'huître, sac à foutre". Ecrivez ces mots sur votre compte Twitter, et aussitôt 10000 petits Torquemada vous jetteront au bûcher. » Notez qu'il ne dit pas "dire merde", mais "apprendre à dire merde" : pas la même chose. Lâche-toi, Riss : à qui veux-tu dire merde ? Qui est-ce qui te tape sur les doigts quand tu dis "pédé" ? Quand tu dis "poufiasse" ?

Car c'est Riss qui s'épanche ainsi dans son "Edito". Il laisse pointer le bout de l'oreille de sa rage. Mais pourquoi faut-il que, quelques lignes plus haut, il ait commencé par chausser les pantoufles du "politiquement correct" le plus confortable ? Pourquoi faut-il qu'il enfourche le cheval de bois (cheval de retour) le plus convenu ? « Il y a trente ou quarante ans, on appelait ça le "politiquement correct", et cela consistait à combattre le racisme, la misogynie ou l'homophobie, ce qui en soi était plutôt logique et évident ». Drôle de pirouette, ou paradoxe mal assumé. Il faudrait préciser les noms exacts que recouvrent concrètement les étiquettes "associations tyranniques" ou "minorités nombrilistes" : est-ce qu'il ne viserait pas par hasard les fanatiques du féminisme, de la "cause" homosexuelle ou de la "cause" musulmane ? Misogynie et homophobie furent-ils un jour des combats "évidents" ?

Quoi qu'il en soit, il y a du mou dans la corde à nœuds. Que je sache, ni Reiser, ni Cabu, ni Cavanna, ni Choron n'ont jamais épargné les militantes féministes ou les militants homosexuels. C'est le militantisme, surtout inféodé à des "causes" et organisé comme à l'armée, qui leur sortait par les trous de nez. Riss avoue ici, bien qu'il s'en défende et que ça me fasse mal au cœur, que Charlie n'est plus dans Charlie. Je veux dire que l'esprit qui animait ceux qui ont fait Charlie (et Hara Kiri avant lui) n'est plus le cœur battant de son descendant.

Prenez le papier du petit Yannick Haenel : bon, ce qu'il dit à propos des USA et de leur obsession de sexe et de bondieuserie n'est pas faux, mais pourquoi faut-il qu'il se mette à la remorque de "la cause des femmes" et qu'il entonne ce refrain qui sert de vaseline passe-partout à quelques hommes en vue occupant certains "créneaux" (cf. Ivan Jablonka et la "nouvelle masculinité") ? « Le sexe est évidemment ce qui rend fou ce pays ; et avec lui la planète entière. Mais grâce à la libération de la parole féminine, qui est le grand événement de ce début de siècle, on se rend compte à quel point cette folie est criminelle : ce que dissimulait la censure (masculine), ce qu'elle continue à obscurcir par son mensonge (patriarcal), c'est l'existence du viol ».

Raisonnement et vocabulaire sont de la pure démagogie à base d'air du temps : se rend-il compte à quelle dictature potentielle risque de conduire le mouvement #metoo ? Et j'ignore jusqu'où Haenel est allé fouiller dans les dessous de la société française pour y trouver des traces de "patriarcat". Et puis vous imaginez, vous, Cavanna et Choron se joindre au chœur des tendances lourdes de leur temps ? Vous les voyez, Cavanna et Choron embrigadés ? Quel contresens ! Mais que vient faire ici le petit Yannick Haenel ?

L'avocat Richard Malka fait son boulot d'avocat, sans plus : il brasse. Je veux oublier ce que dit Denis Robert de cette personne peu recommandable dans son livre Mohicans. Je laisse de côté le papier de Luce Lapin, qui vient au secours de la cause du véganisme. Je rappellerai seulement à la dame que « toute chair est comme l’herbe » (Psaume 103) et que quand je mange de l’herbivore bien rouge et goûteux, je m’assimile forcément l’herbe qui l’a nourri. Je suis donc moi-même indirectement herbivore. Guillaume Erner, l'intellectuel, l’animateur, talentueux mais un tantinet "mainstream" des matins de France Culture, vasouille en déplorant que l’existence actuelle de la censure apporte la preuve par défaut de la défiance dans laquelle ses partisans actuels tiennent le langage et les pouvoirs de l’argumentation rationnelle (ce qu'il appelle "molle conviction").

Yann Diener et Fabrice Nicolino ("Nous voulons des coquelicots") dressent de brefs historiques, le premier de la façon dont les premiers traducteurs de l’œuvre de Freud ont lissé la pensée du maître en donnant de ses concepts des équivalents linguistiques castrateurs ; le second rappelle la puissance des lobbies dans la mise en doute de la vérité scientifique (tabac, amiante, réchauffement), Claude Allègre étant l’invraisemblable cerise sur le gâteau du climato-scepticisme. Le papier de Gérard Biard n'apprend pas grand-chose : je dirai qu'il ne se mouille pas trop et ne sort guère du tout-venant. Il est conforme au cahier des charges.

Bref, jusque-là, pas besoin de se relever la nuit pour aller acheter Charlie Hebdo spécial censure : au lieu de l’explosion annoncée en couverture, on a un pétard mouillé. Heureusement, Philippe Lançon me semble à la fois plus subtil et plus vrai quand, à propos de Gauguin, il s'inquiète de ce que les musées américains exposant ses œuvres les assortiront de cartels portant la mention « Pédophile ». L’emprise du « politiquement correct » aux Etats-Unis ne cesse de s’étendre et de tout contaminer.

Et encore plus heureusement, on trouve du beaucoup plus consistant dans le papier (« Littérature amputée au nom du "bien" ») de Laure Daussy, et dans l’intervention (« Et si le nouveau censeur c’était moi ») de Sigolène Vinson qui vient en quelque sorte l'illustrer. Sigolène Vinson ? Mais si, vous savez, cette fille stupéfiante qui, un certain 7 janvier, a réussi à "hypnotiser" Saïd Kouachi pour qu’il n’aperçoive pas son collègue Jean-Luc, le maquettiste, abrité sous une table. « On ne tue pas les femmes », avait crié l’assassin à son frère Chérif : trop tard pour Elsa Cayat (se reporter à l'article formidable de Marion van Renterghem dans Le Monde du 14 janvier 2015). Moi, en tout cas, je n'oublie pas le récit de cette scène d'une intensité à couper le souffle. 

L’article de Laure Daussy étudie les ravages du "politiquement correct" dans le domaine de la création littéraire. Biard a bien raison de rappeler ce qu’a d’insupportable l’interdiction de fait qui empêcha les représentations en Sorbonne des Suppliantes d’Eschyle au motif que les acteurs portaient une « black face » (un masque de cuivre qui les assimilait à des noirs). On ne peut plus montrer les souffrances d'un peuple dans un spectacle si ce n'est pas ce peuple lui-même qui conçoit et réalise le dit spectacle. Daussy montre que ce genre de censure s’est désormais introduit en amont du geste même de l’écriture des livres de fiction.

L’écrivain, dans ce nouveau monde, aura un ange gardien, dont le métier sera de relire tout ce qu’il aura écrit, pour en signaler en haut lieu ce qui risque d’attirer la rogne, la hargne et la haine des « réseaux sociaux », et pour que toute aspérité soit éliminée du texte avant sa publication. J'entends par "aspérité" toute idée risquant de heurter des sensibilités quelles qu'elles soient.

Ce métier existe déjà : ce sont les « sensitivity readers » (littéralement « lecteurs de sensibilité »), des gens qui sont à l'écoute de toutes les "communautés" qui constituent de nos jour une société.

Il s’agit pour l’éditeur du livre d’éviter toute critique morale et d'effacer toute assertion comportant des risques médiatiques ou judiciaires. Pour cela, il ne faut donner prise à aucun reproche éventuel. Je me suis laissé dire que certaines grosses maisons d'éditions font appel (depuis combien ?) à des spécialistes juridiques pour réécrire les épanchements d'écrivains pour éviter les procès.

Le but à atteindre est parfaitement clair. M. Kosoko Jackson, « qui se présente comme sensitivity reader noir et queer, tweetait en mai 2018 : "Les histoires sur le mouvement des droits civiques devraient être écrites par les Noirs, les histoires sur le droit de vote devraient être écrites par les femmes, les histoires sur l’épidémie de sida devraient être écrites par des gays, est-ce que c’est difficile à comprendre ?" ». En clair : seuls des noirs peuvent parler des noirs, même chose pour les femmes, les musulmans, les homosexuels, les handicapés, etc. Comme le dessine drôlement un nommé Foolz (?), en page 11 : dans cette logique délirante, seul Gabriel Matzneff serait habilité à parler de la pédophilie.

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Comment en est-on arrivé là ? Pour aller vite : la faute aux réseaux sociaux. Leur capacité de nuisance est terrifiante et absurde. Le dessinateur Antonio Moreira Antunes l’a appris à ses dépens : le New York Times a banni de ses pages tout dessin de presse depuis qu’il a représenté Donald Trump comme un aveugle portant la kippa et guidé par un chien à tête de Nétanyahou portant un collier à étoile de David. La faute aux réseaux sociaux, qui ont brandi l’accusation d’antisémitisme. Le grand journal américain a baissé la culotte devant cette arme de destruction massive. [Le contenu de ce paragraphe n'est pas pris dans l'article.]

Voilà ce que je dis, moi.

A suivre.

Note : je me refuse, par compassion, à dire quoi que ce soit du travail des dessinateurs de l'actuel Charlie Hebdo.

vendredi, 10 janvier 2020

2020 : DOLTO PÉDOPHILE ?

Aujourd'hui, c'est la fête à Françoise Dolto.

Oui, oui, l'icône en personne : sainte Françoise.

La mamie absolue.

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Le Canard enchaîné, mercredi 8 janvier 2020. Dessin signé Aurel.

Décidément, c'est l'époque qui veut ça ! L'époque ? En état d'hébétude et d'ahurissement et dans une ambiance de scandale insoutenable, elle découvre les années 1970 et l'incroyable permissivité morale qui a vu s'ébattre et s'épanouir les grandes causes sociétales de la "libération sexuelle", de l'homosexualité, du féminisme et de la pédérastie (mot pris dans son sens étymologique d' "amour avec les enfants").

Sauf que la dernière de ces "grandes causes" est devenue, au fil des ans, des redressements moraux et des révisionnismes idéologiques, la grande pestiférée, alors que les deux autres prospéraient à qui mieux-mieux, au point d'édifier autour des homosexuels et des femmes un rempart pénal infranchissable. L'époque, qui a d'un côté sacralisé la cause des homosexuels et des femmes au point d'inscrire au Code Pénal les délits d'homophobie et de sexisme, désigne l'amour (physique) des enfants comme l'ennemi à abattre.

Un problème se pose néanmoins : que faire de la mémoire de personnes auxquelles, entre-temps, l'époque elle-même a élevé des statues en acier inoxydable et plaquées or, alors qu'elles ont publiquement avoué leur tolérance ou leur solidarité avec ceux que nous appelons rétrospectivement des "pédophiles" ? Sans parler de celles qui ont milité en leur temps pour la libéralisation de ces mœurs qui paraissent abominables à tant de gens aujourd'hui.

Prenez la liste des signataires de la "Lettre du 23 mai 1977" publiée par le journal Le Monde : que du beau linge ! Cette lettre, peut-être rédigée par un certain Gabriel Matzneff (qui en revendique la paternité), demande au législateur la révision, dans un sens plus "laxiste", des lois réprimant les abus dans les relations entre adultes et mineurs. 

Des noms ? Allez, quelques-uns : Louis Althusser, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Patrice Chéreau, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Françoise Dolto, André Glucksman, Félix Guattari, Roland Jaccard, Pierre Klossowski, Jean-François Lyotard, Michel Leiris, Christiane Rochefort, Alain Robbe-Grillet, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers (parmi les noms figurant sur la liste aimablement fournie par l'encyclopédie en ligne).

Parmi ces noms de gens ou très célèbres ou assez connus, on note celui de Françoise Dolto. Eh bien figurez-vous que ça tombe bien, parce que Le Canard enchaîné du mercredi 8 janvier 2020 consacre quasiment une demi-page à la célébrissime psychanalyste des enfants, auteur de nombre d'ouvrages savants et animatrice de mémorables émissions de radio.

Il se trouve qu'en novembre 1979, la revue "Choisir la cause des femmes" (Gisèle Halimi) a publié un entretien que Françoise Dolto a eu avec un juge des enfants, texte ensuite repris dans un ouvrage. Et l'on peut dire que ça décoiffe. Je cite Le Canard enchaîné.

« Dolto : Dans l'inceste père-fille, la fille adore son père et est très contente de pouvoir narguer sa mère !

Q. : Et la responsabilité du père ?

R. : C'est sa fille, elle est à lui. Il ne fait aucune différence entre sa femme et sa fille, ou même entre être l'enfant de sa femme ou bien le père de sa femme. La plupart des hommes sont de petits enfants. Il y a tellement d'hommes qui recherchent dans femme une "nounou". Et des femmes qui les confortent dans cette idée-là ! Alors la responsabilité du père, à ce niveau (...).

Q. : Donc, la petite fille est toujours consentante ?

R. : Tout à fait.

Q. : Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?

R. : Il n'y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.

Q. : Quand une fille vient vous voir et qu'elle vous raconte que dans son enfance, son père a coïté avec elle, et qu'elle l'a ressenti comme un viol, que lui répondez-vous ?

R. : Elle ne l'a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l'aimait et qu'il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l'amour avec lui. »

J'arrête ici la citation, car la suite est également assez gratinée, mais j'invite tout le monde à se procurer ce morceau d'anthologie, qui montre que les années 1970 étaient imprégnées jusqu'au trognon d'idées qu'une majorité s'accorde aujourd'hui à juger puantes, repoussantes, et même pornographiques. Le Canard enchaîné signale tout de même en fin d'article que Françoise Dolto, deux ans auparavant, jugeait que « l'initiation sexuelle des adolescents et des enfants par un adulte (...) est toujours un traumatisme psychologique profond ». 

L'icône François Dolto prise en flagrant délit de pédalage dans la semoule de choucroute au yaourt ! Elle pourrait faire un tour chez le psy, non ?

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 08 janvier 2020

2020 : TOUT FLAMBE !

Voici ce qu'on peut lire en page 16 du journal Le Monde daté 7 janvier 2020.

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Et voici ce qu'on peut lire en page 15.

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En 2020, nous sommes prévenus, TOUT FLAMBE.

Le recto et le verso d'une médaille qui, sans avoir une existence officielle, constitue la signature d'une époque suicidaire. Le paragraphe que je préfère, dans cet article signé Isabelle Dellerba, c'est celui qui clôt l'avant-dernière colonne : 

« "Ce n'est pas un feu de brousse, mais une bombe atomique. Il cause un enfer, des dévastations indescriptibles", déclarait, samedi 4 janvier, sur la radio ABC, Andrew Constance, ministre des transports de l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud, qui a défendu lui aussi sa propriété contre les braises. Les incendies sont tellement gigantesques qu'ils créent des nuages. Ceux-ci provoquent à leur tour des orages et des éclairs qui peuvent déclencher de nouveaux brasiers ».

L'époque a inventé l'incendie irréversible, celui qui crée de façon autonome les conditions de son indéfinie prolongation. Et je pense à cette observation d'un climatologue : si l'humanité ne parvient pas à contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2,5°C, un seuil sera alors franchi, qui mettra le phénomène hors de contrôle. Autrement dit, si l'humanité ne devient pas raisonnable, on ne sait pas où s'arrêtera le processus de réchauffement, ni à quelle vitesse il se déroulera.

Observons que toute la partie Sud-Est de l'Australie est, comme par hasard, la plus peuplée et la plus urbanisée. Je ne sais pas dans quelle mesure est vraie l'idée que les forêts natives de ces régions ont été remplacées par des forêts d'eucalyptus, beaucoup plus rentables, mais infiniment plus inflammables.

Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que l'action de l'homme sur la nature est à l'origine de la catastrophe qui touche l'Australie.

Et je ne parle pas de l'obsession charbonnique du gouvernement qui, pour développer cette filière, envisage sans sourciller d'un sourcil de favoriser une industrie minière qui menace l'existence de la célèbre et fragile "Barrière de Corail".

Note : je signale qu'on trouve dans le journal Le Progrès la confirmation du fait que les températures à Lyon se sont, en un siècle, élevées de plus de 3°C. Alors je me demande, s'agissant de l'objectif mondial d'une augmentation maximum de 2,5°C, dans quel conte de fées les gens "au courant" ont l'intention de tenir le petit petit peuple.

Quand les gens qui tiennent les manettes cesseront-ils de mentir ?

mercredi, 01 janvier 2020

2020 : DES RECORDS A BATTRE

UNE BELLE ANNÉE A TOUS, FRAÎCHE ET JOYEUSE !

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Le Monde daté 31 décembre 2019.

Une mention spéciale pour le Dow Jones et le Nasdaq : pendant que le gouvernement s'apprête, imperturbable, à appauvrir la future vieillesse des futurs travailleurs, les actionnaires d'aujourd'hui n'en finissent plus de s'user les mains à force de se les frotter. Ayons confiance, nous a dit Emmanuel Macron :  les fonds de pensions et leurs actionnaires veilleront en 2020 à ce que le petit peuple n'abuse pas de ses innombrables et scandaleux privilèges.

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Admirons au passage le goût raffiné du Monde, qui fait côtoyer sur sa une les performances brillantes des bourses mondiales et celles, tout aussi brillantes quoique situées dans un autre ordre de bêtise et de brutalité, des mâles français.

Je note malgré tout que ceux-ci devront faire mieux s'ils veulent égaler l'exploit des mâles mexicains qui, entre 2005 et 2011, ont mis fin à l'existence de 12.023 femmes (2.000 par an en moyenne, pour une population d'environ 110.000.000 d'habitants : pour le coup, les Français la jouent "petits bras"). C'est Sade qui disait "Français, encore un effort pour devenir républicains".

Quant aux bourses mondiales, je me garde de tout commentaire, mais surtout de tout pessimisme pour leur santé. Parce que la santé, hein ...

Tiens, à propos de santé, je souhaite une excellente année à tous les personnels hospitaliers, en particulier aux urgentistes. Une excellente année à tous les lits d'hôpital qui ne manqueront pas de revenir dans tous les services après en avoir été bannis. Une excellente année aux marins du navire psychiatrique qui passent plus de temps à écoper les innombrables voies d'eau qu'à s'occuper des malades.

MON SEUL ET VRAI VŒU :

EN 2020, SOYONS FORTS ET TENONS-NOUS DROIT !

mardi, 12 novembre 2019

LA TERRE COMME UNE USINE 2

LA TERRE COMME UNE USINE.

Le projet d'Edgar Pisani, célèbre ministre de De Gaulle ? Envoyer un gros bulldozer pour tout araser et pour transformer la campagne française en usine à produire des aliments. La terre comme une usine : voilà l'essence du projet. C’est aussi simple que ça.

Et quels que soient les discours des présidents, quelques sympathiques que soient les Salons de l'Agriculture, quels que soient les résultats des Grenelle de l'environnement ou des Etats Généraux de l'alimentation, année après année, on le voit se réaliser, le projet de Pisani, comme une mécanique bien huilée poussée par un moteur en parfait état alimenté par un carburant performant. Quoi qu'il arrive, la logique industrielle étend son emprise, inexorablement. Parce que c'est elle qui est au cœur de tout le système. C'est elle, le moteur.

Il paraîtrait que Pisani ait fini par éprouver quelques remords. Trop tard !

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Christin et Mézières, dans Bienvenue sur Alflolol (Valérian n°4, Dargaud, 1982), ne sont finalement pas tant que ça dans la science-fiction (c'est de la bande dessinée). Comparer avec ci-dessous la production bien actuelle des tomates bio en Andalousie (c'est une vraie photo publiée dans Le Monde le 3 septembre 2019).

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Edgar Pisani ! Encore un qui ne s’est pas remis de son voyage aux USA (je parlais récemment des maires Pradel et Degraeve de retour de Los Angeles pleins de projets en béton pour leur ville) et qui, sans se poser de questions sur l’adaptabilité du système, a utilisé son pouvoir politique pour obliger l’agriculture à s’industrialiser – que dis-je : à devenir une industrie ! La mécanisation à outrance comme solution miracle ! Et à la cravache !

Pour cela, il faut de très grandes surfaces (remembrement, destruction des haies, ...), de très grosses machines qui coûtent très cher, donc de très gros emprunts (en français : un très gros endettement auprès du Crédit Agricole). Pour l'élevage bovin, la France traîne heureusement un peu la patte (la "ferme des 1.000 vaches" fait débat, alors qu'ailleurs - Chine, Canada, etc. - on parle d'établissements de 10.000 bovins, voire plus). Big is beautiful. Ne parlons plus de « fermes », mais d' « entreprises à vocation agricole » (on peut remplacer "agricole" par "nutritionnelle", biberonneuse", etc.). Hors du gigantisme, point de salut.

Je laisse la parole à Michel Houellebecq (ex-ingénieur Agro) : « Je connaissais parfaitement cet élevage, c'était un élevage énorme, plus de trois cent mille poules, qui exportait ses œufs jusqu'au Canada et en Arabie Saoudite, mais surtout il avait une réputation infecte, une des pires de France, toutes les visites avaient conclu à un avis négatif sur l'établissement : dans des hangars éclairés en hauteur par de puissants halogènes, des milliers de poules tentaient de survivre, serrées à se toucher, il n'y avait pas de cage c'était un "élevage au sol", elles étaient déplumées, décharnées, leur épiderme irrité et infesté de poux rouges, elles vivaient au milieu des cadavres en décomposition de leur congénères, passaient chaque seconde de leur brève existence – au maximum un an – à caqueter de terreur » (Sérotonine, p.160).

Pour couronner le tout, il faut une « organisation » qui englobe tout le personnel employé sur les terres agricoles. Ce sera la FNSEA, seul interlocuteur du gouvernement en matière agricole, sorte d’Etat dans l’Etat, qui fait la pluie et le beau temps, qui négocie avec le ministère de puissance à puissance, qui envoie à l’occasion un commando dévaster impunément les bureaux de la ministre de l’écologie (il me semble que c'était Voynet). Et qui est capable dernièrement d'organiser une manif de tracteur pour protester contre l' "agribashing" (encore une trouvaille de journaliste, je parie !) dont souffrent les agriculteurs. Situation absurde et rocambolesque quand on regarde l'évolution sur le long terme : qui a voulu cette industrie agricole ?

On comprend bien que les paysans de l’ancienne France aient fini par disparaître : pris entre 1 - les mâchoires de l’étau politique d’un ministère qui propageait une vision totalitaire de l’agriculture du futur ; mais aussi 2 - entre les mâchoires de l’étau financier du Crédit agricole qui prêtait en masse pour inonder de machines les exploitations agricoles et pour tenir les exploitants dans le nœud coulant de leurs dettes ; et enfin 3 - entre les mâchoires de l’étau d’un « syndicat » monopolistique regroupant désormais des « entreprises agricoles », où les gros chefs d'entreprise pouvaient dicter leur loi aux petits.

Dans cette histoire de gigantismes juxtaposés (et soigneusement coordonnés), j'ai failli oublier 4 - le gigantisme de la distribution qui, soi-disant dans l'intérêt du consommateur, tire vers le plus bas possible ses prix d'achat aux producteurs, pour mieux les asphyxier et leur faire rendre gorge. Ce système répond à l'exigence capitaliste : produire en masse et au plus bas prix possible. 

Je n'ai pas développé ici le côté "tout-chimique" impliqué par le choix de l'agriculture industrielle : la chimie est le corollaire forcé de l'option industrielle. Pour lutter contre les infestations de nuisibles qui font baisser les rendements à l'hectare, il est parfaitement logique de recourir à tous les poisons inventés par l'industrie chimique, cette frangine de l'industrie agricole. Et pour empêcher les rendements à l'hectare de baisser du fait de la raréfaction des nutriments naturels, il est parfaitement logique de recourir à tous les « intrants » providentiellement fournis par la même frangine. Quitte, comme le montrent les travaux de Claude et Lydia Bourguignon, à transformer le sol des terres agricoles en matière totalement inerte et stérile.

Alors dans ce paysage dominé par « du mécanique plaqué sur du vivant » (pardon, Bergson, pour le détournement, mais pour le coup, l'expression est à prendre au sens propre), dominé par le productivisme, par le quantitatif, par la standardisation, quelle place pour la bonne bouffe ? Oh c'est sûr, dans les discours, elle occupe une très belle place : Macron organise en grand tralala des "Etats Généraux de l'Alimentation" où les plus belles intentions s'étalent et font le spectacle. Résultat des courses ? Une guirlande multicolore de pets de lapin : Seigny Joan, le fou de Rabelais (Tiers Livre, 37), fait tinter la pièce du faquin pour payer « au son de son argent »,  la fumée du rôtisseur, au parfum de laquelle le faquin avait mangé son pain.

Le problème ne change pas. On a beau tourner autour en poussant des cris incantatoires et déchirants, c'est toujours le même. Je le formulerai ainsi : les initiatives individuelles, aussi nombreuses, courageuses et opiniâtres qu'elles soient, peuvent-elles infléchir la trajectoire globale d'une masse d'éléments étroitement interdépendants, et solidement organisés en SYSTÈME ? Je réponds clairement "non". En dehors de la satisfaction de pouvoir se dire qu'on est dans le vrai, on en reste aux pets de lapin.

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Reiser 1976.

Prenons la biodiversité alimentaire : elle existe, oui, mais à quel prix ? Êtes-vous prêts à payer 3,85€ le délicieux pain de "petit épeautre" plein de qualités diverses (on trouve ça chez Caclin) ? Combien de variétés de pommes, il y a soixante ans ? Essayez de trouver des pommes "Calville" sur les marchés lyonnais, vous savez, ces excellentes pommes jaunes pleines de bourrelets sur le cul. Même chose pour tous les légumes et fruits.

Demandons-nous ce qui entraîne l'uniformisation des modes de vie, l'uniformisation des comportements, l'uniformisation des habitudes, l'uniformisation de l'alimentation. Certains appelleront ça la "mondialisation". Pas faux, mais la mondialisation est elle-même le résultat d'un processus plus vaste et plus ancien : l'industrialisation. Qu'est-ce que c'est, en réalité, la "grande distribution" ?

C'est la logique industrielle appliquée au principe du magasin de vente : automatisation des tâches, standardisation des produits, etc. Votre magasin de proximité s'agrandit, se rationalise, s'uniformise : vous y êtes presque. Nous sommes les fruits de cette logique industrielle, c'est elle qui nous a façonnés, corps et esprit, jusqu'à nous apparaître comme une évidence, comme une autre nature. C'est de la production industrielle que notre vie dépend, comme celle du drogué dépend de son dealer.

Or entre la logique écologique et la logique industrielle, il n'y a pas d'entente possible. C'est rigoureusement incompatible. A l'ère industrielle, il y a les gentils "gestes" qu'on peut faire (bientôt les pots de yaourt dans la poubelle jaune : quel progrès!), pour se donner bonne conscience. Il y a les petites intentions louables qui nous font "trier nos déchets". Qu'est-ce que ça change à l'essentiel ? Et ça pèse quoi, le "zéro déchet" ?

Bravo à toutes les petites fourmis qui s'activent pour "vivre autrement" et de façon plus proche de la nature, mais je ne vois pas bien comment nous pourrions renier cet état de fait et changer de SYSTÈME.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 05 novembre 2019

MÉCANIQUE D'UNE ÉMOTION NATIONALE

RECONSTITUTION DU DÉROULEMENT IMAGE PAR IMAGE D'UNE ÉMOTION NATIONALE.

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Daté vendredi 9 janvier 2015 (c'est-à-dire paru le jeudi 8 après-midi).

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Daté samedi 10 janvier 2015.

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Daté dimanche 11-Lundi 12 janvier 2015.

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Daté mardi 13 janvier 2015.

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Daté mercredi 14 janvier 2015.

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Daté jeudi 15 janvier 2015

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Daté vendredi 16 janvier 2015.

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L'événement occupe l'entièreté de la "une" dans six des sept ici présentes. Ça, c'est pour symboliser l'unité nationale. La septième "une" est de nouveau divisée, comme avant l'événement. Ça, c'est pour indiquer le retour à la norme (au "débat").

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Moralité : l'émotion, il vaut mieux ne pas s'y fier. La preuve ? Combien aujourd'hui pour dire : « Je suis Charlie » ? Et je ne suis pas sûr de ne pas penser autant de mal de toutes les manifestations publiques des émotions.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi toujours les mêmes "marches blanches", pourquoi toujours les mêmes banderoles proclamant "Plus jamais ça !" Tout le monde le sait parfaitement : la source des circonstances qui motivent ces manifestations n'est pas près de se tarir.

Il ne faudrait pas que ça devienne un automatisme : ça risquerait de devenir « du mécanique plaqué sur du vivant » (Bergson) !

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J'ajoute (nous sommes toujours le mardi 5 novembre) que les émotions collectives, quand elles deviennent utilisables par des pouvoirs, deviennent des instruments d'oppression d'autant plus inquiétants qu'ils s'exercent hors de la conscience. Celui qui, par son savoir-faire ou son charisme propre, parvient à capter la force émanée de l'émotion spontanée, devient illico un chef, un Führer, un Guide. 

Moralité : politiquement, l'émotion, c'est le Mal.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 04 novembre 2019

MORT DE "LA GUEULE OUVERTE"

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Il y a encore des barbus sur la gauche (j'ai "recadré" la photo). J'ai cru reconnaître Gébé, assis à droite de Fournier, mais j'ai un doute. Photo parue en page 3 du n° 5 de La Gueule ouverte. Mon avis personnel sur la "nécro" en trois pages : j'aimais bien les romans SF de Jean-Pierre Andrevon. J'avais oublié qu'il avait tenu une rubrique dans La G.O. Mais à lire le texte, on comprend assez bien qu'il ne comptait pas parmi les plus proches de Fournier, que le propos flotte avec sympathie, mais que l'essentiel n'est pas là. Il ne paie pas de mine, le gars Fournier, mais pour le caractère, il devait être plutôt "entier".

J’ai arrêté d’acheter La Gueule ouverte après le n°24. Je veux dire que j’ai quand même tenu pas mal de temps après la mort de Fournier, non ? J’ai acheté, je ne sais pourquoi, deux n°13 (que j'ai toujours), mais aussi plusieurs n°1 – à vrai dire le numéro qui avait décidé que j’étais décidément de ce côté ensoleillé de la rue (« On the sunny side of the street », pour ceux qui connaissent le jeune Louis Armstrong). Malheureusement, vous savez ce que c’est, les amis viennent, s’en vont, on prête (« ça s’appelle revient, hein, j’y tiens ! »), et puis voilà, on se rend compte, quarante ans après, que M. Chourave ou Mme Filoute était passé par là.

Mais « j’ai arrêté », ça veut aussi dire que j’ai arrêté d’acheter La Gueule ouverte, cette belle revue qu’après tout, comme un certain nombre d’autres en France, je devais attendre comme on attend un espoir pour demain. Et d’après ses débuts, ça promettait de péter le feu. Bon, j’ai oublié le sommaire du n°1. Je pourrais peut-être le trouver par les moyens immatériels (mon œil !) que permettent les communications modernes, mais j’ai la flemme.

Au vu du sommaire du n°2 (décembre 1972), je dois bien reconnaître que m’ont repris les petits titillements qui m’avaient fait tiquer à l’époque. J’ai été surpris quand je suis retombé sur l'article « Terres libérées, où ça ? » (p.4-11), où Pierre Fournier parle de nouvelles formes de vie dans des communautés rurales organisées selon un mode assez libertaire. Cela commence même par une espèce de charte compliquée (d'autres diront "subtile") d'organisation de la vie en commun sur des bases plutôt libertaires mais non sans règles précises : j'ai du mal à m'y retrouver.

Il voulait aussi que les relations entre individus ne reposent pas sur le volontarisme, l'altruisme et les sentiments humanitaires, mais soient organisées par les nécessités matérielles du quotidien. D'accord sur ce point, mais je suis convaincu qu'on ne fabrique pas une communauté humaine in abstracto. Je n’ai jamais cru à la possibilité et à la durabilité de telles micro-sociétés. Et disons-le, je n’y ai jamais eu aucune appétence. Combien existent encore aujourd’hui ?

Mais il y a à côté de ça « A propos, qu’est-ce que c’est, la nature ? », sorte d’éditorial signé par le Professeur Mollo-Mollo. Or, sous ce pseudo burlesque, se cache l’éminent Philippe Lebreton, précurseur, après René Dumont, de l’écologie politique en France. Le bonhomme en sait long, il en veut, et il ne garde pas les deux pieds dans la même chaussure. L'article est surmonté d'une photo marrante qui ne fait de mal à personne.

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La passagère a belle allure. Aujourd'hui, Monsieur Seguin roule en D.S.

Dans son texte, il pose pour finir, comme s’il craignait de dire des gros mots, cette question qui me laisse, quant à moi, pantois, quarante-sept ans après : « La tolérance d’homme à homme que nous commençons à juger normale, le respect de "l’autre", ne devrions-nous pas les étendre aussi à la nature, cette colonisée par excellence ? ». Quelle prudence ! Faut-il donc malgré tout que les mentalités aient fait un bond spectaculaire pour qu'une telle circonlocution oratoire, emberlificotée dans la formulation, me paraisse aujourd'hui d'une timidité coupable ?? N'en savions-nous alors pas assez pour être beaucoup plus affirmatif ??

Qu'est-ce que je relève encore ? Ah oui, un article fort de Bernard Charbonneau, « Roissy en enfer ». Charbonneau, c’est le copain de Jacques Ellul, vrai penseur pour le coup du « système technicien » et de ses effets délétères sur les structures mêmes des sociétés humaines. Le plus étonnant, dans cet article, c’est l’état de stupéfaction proche de la sidération où le plonge l'annonce de l’installation d’un grand aéroport (Roissy) au nord de Paris (« un cratère plein de décibels de vingt-six kilomètres sur trente-sept »). Il n’arrive pas à comprendre que des responsables censés être sensés aient pu prendre sérieusement une décision aussi folle. Là encore, le nombre des années, quel coup de distance dans la figure : il faudrait que les habitants actuels de Roissy (et environs) lisent ce texte. 

Bon, je ne vais pas inventorier ce n°2. Dans le désordre, il y a un « Roland » qui parle intelligemment de ce qu’est un vrai bon blé ; il y a un très bon papier sur le projet de barrage à Naussac (Lozère) ; un autre très net sur la future centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly, avec des photos parlantes de ce qu’était un paysage rural à l’époque (on voit même des haies – si si !) ; deux pages de remplissage avec les dessins de Willem ("Gaston Talon") ; un compte rendu du congrès de « Nature et Progrès » à Versailles ; quatre pages sur les problématiques liées à la fondation des Parcs Naturels en France ; un bel article sur l’état de la mer Méditerranée en 1972 (qu’en est-il aujourd’hui ?) ; un article un peu bizarre et compliqué sur les radios et la détection des cancers ; j’arrête là. Ah non, j’ai failli oublier Gébé, Reiser et Cabu !

Bilan et résultat des courses : la revue voulue intensément par Pierre Fournier, a vu le jour, et finalement démarré dans la douleur, à grand renfort d’énergie, de fluide, de volonté et d’acharnement. Une belle revue qui démarrait sur les chapeaux de roues dans le dur, dans le riche, dans le lourd et dans le solide, pour dire « merde » à l’époque, avec quelques petits bémols touchant ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre-ensemble ».

Sans être au courant des réalités de terrain de l’époque, il me semble que la vie de Pierre Fournier n’était pas un long fleuve tranquille (cf. encyclopédie en ligne, qui ne regorge pas de détails). Avant même la confection du n°4, c’est son cœur à lui qui lui a dit "merde"(autour de 35 ans). Le Monde signale sa disparition. Ce que l’équipe lui reconnaît aussitôt, c’est « courage », « inconscience », et surtout, à mes yeux « cohérence », (n°5). Je crois me rappeler que Delfeil de Ton a des mots sympas à son égard dans sa Véritable histoire d’Hara Kiri, mais aussi un regard un peu surpris par l’apparence (à moins que ce ne soit Denis Robert dans Mohicans ?). 

Problème : le bateau vient à peine d’être mis à l’eau que le capitaine passe par-dessus bord et se noie, qu’est-ce qu’on devient ? Premier réflexe, et c’est classique : « On continue ! » (belle façon en passant de confirmer que personne n’est indispensable). Et c’est tout à fait vrai pendant un certain nombre de mois : c’est que le portefeuille d’articles, de dessins, de photos, de documents, etc. devait être bien garni à ce moment et qu’au moins une ébauche de réseau d’informateurs et de collaborateurs avait pu être constituée.

Mais je le dis comme je le pense : la mort de Pierre Fournier annonce la disparition de la première grande revue du combat écologique en France. Le canard décapité continue un temps, mais pas tant que ça. Pierre Fournier mort, La Gueule ouverte a presque tout de suite commencé à partir en quenouille, c'est ma conviction.

J’ignore tout de la cuisine interne qui s’est mise en place progressivement, et je veux encore plus ignorer l’histoire des rapports de forces au sein de l’équipe de direction, mais c’est indéniable : quelque chose d’important changeait. Comme si les joysticks du pouvoir (qui brûlaient les mains de Fournier) commençaient à prendre le pli de manipulations différentes pour aller dans d’autres directions.

Un curieux amateurisme semble s’être glissé dans les méthodes de travail : ainsi, dans le n°20 (juin 1974), sous la plume de Danielle (la compagne de Fournier, je crois) : « … nous avons essayé de digérer un texte en anglais d’Illich. (…) Christiane (…) et moi espérons n’avoir pas fait de contresens quant au fond ». Bravo pour la sincérité, mais ! Et les sujets s’avancent vers toutes sortes d’horizons nouveaux : les questions de pouvoir dans le couple, la critique du plein-emploi, la remise en cause de la médecine, etc. Le MLF prend une grande place dans certains numéros. L’homosexualité commence à pointer son nez.

Un symptôme révélateur : les éditions du Square (Bernier - en fait Choron - étant Dir. de la publication) après le n°22 (1974), refilent l'édition de La Gueule ouverte aux Presse de la Bûcherie (Michel Levêque Dir. de publication). De toute évidence, il y a incompatibilité des équipes. La Gueule ouverte se replie à La Clayette (Saône-et-Loire), avec une belle page de titre barbue et rigolarde pour la revue, dessinée par Cabu. J'ai un peu croisé la route (peu de temps) de quelques membres de cette sorte de "communauté" pour le moins informelle, mais avec le temps, j'ai presque tout oublié de ces temps qui, pour moi, sont une figure du n'importe quoi. Il n'en reste que mes vieux numéros de La G.O.

Visiblement, ça commence à tirer à hue et à dia, et le sac se fait trop petit pour la diversité des nouvelles causes à défendre. Le fourre-tout n'est pas loin. Et ça me fait penser à ce qui s'est passé lors de plus récents mouvements éphémères (Anonymous, Occupy, Indignés, Nuit debout, Gilets jaunes, Extinction-Rébellion, etc, ...) : quand j'entends des responsables médiatiques, disons, ... de La France insoumise (suivez mon regard), appeler de leurs vœux une "convergence des luttes", je me dis : "toujours le même merdier".

Ach, convergence des luttes, très bon, très pur, s'exclame le tovaritch convaincu ! Ah bon ? Convergence des luttes, susurre le sceptique ?

En fait, la trajectoire de La Gueule ouverte a commencé à errer sitôt après la mort de Fournier : il y avait là une sombre prémonition. Au lieu d'exiger un certificat d'écologie à ceux qui voulaient entrer dans la revue, la nouvelle équipe a fait de La Gueule ouverte une auberge espagnole : chacun apportait son manger (à l'instant où j'écris ça, j'entends à la radio "le droit à la sensibilité"). Le résultat ? Finie la cohérence chère au cœur de Pierre Fournier, bienvenue à la divergence des luttes.

Car ce qui m'apparaît en plein dans les phares, c'est que chacune des boutiques (officines, groupes, clans, sectes, ...) qui se disent "en lutte" ne se soucie guère des revendications qui ne sont pas les siennes, et se soucie encore moins de définir un objectif capable d'unifier tous les particularismes. Elle est là, la divergence des luttes. Eh, François Ruffin, t'auras beau lancer tes appels incantatoires, tant que chacun aura sa petite boussole dans son coin ...

Toutes ces voix discordantes appellent au "rassemblement", à condition que ce soit sous le drapeau qu'elles portent, à l'exclusion de tous les autres drapeaux. Moralité : vous mettez toutes les luttes dans un sac : elle s'étripent. Eh oui, les luttes divergent quand il n'y a plus de but commun. Et l'écologie, alors là pardon, mais comme but commun, ça se posait là. Je l'affirme : aujourd'hui, aucun but n'est plus commun (je veux dire "universel") que l'état du monde.

La gauche, après avoir fait des promesses marxistes en 1981, a tourné casaque en 1983, rejoignant les forces du marché en rase campagne avec armes et bagages, et en promettant d'aquareller de couleurs "sociales", "morales", "sociétales" aux indispensables réformes. La voilà, la divergence irréconciliable des luttes : les particularismes des regards que les individus portent sur leur propre vie et sur les problématiques qu'ils se donnent.

La nouvelle gauche, celle de Mitterrand et toute la suite, a établi ce nouveau dogme : « Puisque nous ne pouvons pas changer les choses (le système, les forces du marché, le capitalisme, ...), changeons la façon dont les gens voient les choses. Déjà, ils ne regarderont pas les mêmes choses. Il est là, notre marché des idées. »

Et dans tout ça, où est-elle passée, l'ardente conviction écologique d'un Pierre Fournier ?

C'est une excellente question, et je vous remercie de l'avoir posée.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 09 octobre 2019

ECOLOGIE ? VIVA LA MUERTE !

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Jamais la lecture d’un livre ne m’avait mis dans un tel état de colère. Jamais, je crois, je n’avais autant bouilli de rage du fait de ce que je lisais. Je m’empresse d’ajouter que Stéphane Foucart, son auteur, n’y est pour rien : au contraire, son livre est un impeccable acte d'accusation contre tout ce qui tourne autour de l'industrie chimique appliquée à l'agriculture.

Ce qui est un peu désespérant, c'est le mal de chien que se donne l'auteur pour établir la vérité des faits, et pour réfuter avec patience, précaution et méthode les pseudo-arguments de gens qui ne sont rien d'autre que des ennemis de la vie : à quoi sert de faire du "fact-checking" et de disséquer les mensonges quand ceux-ci tiennent le haut du pavé ? Que peut un livre contre les puissances négatives ?

Foucart est loin d’être un inconnu pour les lecteurs du Monde avides d’informations sur l’état physiologique de la planète : il dirige la rubrique où atterrissent toutes les informations sur le réchauffement climatique, la déforestation, la fonte des glaciers, bref : la rubrique « Environnement ». On ne dira jamais assez de bien de cette partie du journal Le Monde : voilà du vrai journalisme !

Dans Et le Monde devint silencieux (Seuil, 2019, le titre rend hommage à Printemps silencieux, livre fondateur du combat écologique de Rachel Carson, paru je crois en 1962 – bientôt soixante ans !!), Stéphane Foucart décrit minutieusement le mécanisme d’un véritable crime contre l’humanité qui se commet impunément depuis les années 1990 dans le monde entier.

L’arme du crime porte un nom difficile : « néonicotinoïdes », souvent apocopé dans le livre en « néonics ». Il s’agit d’un ensemble de molécules mises sur le marché (1993 en France) pour éradiquer définitivement les ennemis désignés des agriculteurs et des récoltes : les insectes ravageurs. C'est nouveau : leur effet principal n'est pas directement létal (= mortel), mais "sublétal" : l'insecte est amoindri (immunité, activité, etc.), mais le résultat est finalement le même.

Ces produits portent des noms imprononçables : imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, sulfoxaflor, etc. Le fipronil, quant à lui, s’il est un phénylpyrazole (encyclopédie en ligne), appartient à la même bande de tueurs à gages (c'est exactement ça). Cette mafia d’exécuteurs est dirigée par des parrains dont la raison d’être s’appelle l’agrochimie : Bayer, Syngenta, Dow, Monsanto, BASF et quelques autres.

Cette « confrérie » de gens sûrement désintéressés, qui n'est pas loin de monopoliser la production des semences (voir la réglementation européenne des semences), a une seule loi : se rendre indispensable au monde, et devenir son fournisseur exclusif, pour garantir sa mirobolante rente annuelle, celle des royalties énormes qui leur sont versées par le monde en échange de leurs trouvailles « scientifiques » (qualificatif obligé, mais je mets quand même des guillemets), dont quelques noms figurent ci-dessus. Et la planète est disciplinée : tout le monde s'y est mis.

La grande trouvaille que toutes ces entités industrielles ont couvée et fait éclore, et qui a envahi les terres cultivables du monde entier, c’est l’enrobage : chaque graine, au lieu d’être semée comme autrefois pour être aspergée ensuite de divers produits nécessitant le port d'un scaphandre de cosmonaute pour celui qui les répand, est enrobée d’une coque aux vives couleurs, destinée à faire d’elle, quand elle se développera, une plante dont toutes les parties seront toxiques pour les insectes (mais pas que, comme on va le voir). On appelle ça un « insecticide systémique ». On a inventé la plante insecticide ! Fallait y penser.

Le problème, c’est que s’il s’en prend effectivement aux ravageurs, cet insecticide est incapable de les distinguer des non-ravageurs, et que tous les insectes qui s’y frottent, s’y piquent de façon irréversible, quelque bonnes que soient leurs intentions : les effets sont tout à fait indiscriminés. Ce qui veut dire que tout le monde y passe, y compris et surtout la vaste peuplade des pollinisateurs, au milieu desquels on trouve les abeilles de ruche, les abeilles solitaires, les papillons et les bourdons (ceux qui fécondent les reines).

Les études scientifiques dont Stéphane Foucart rend compte mettent en évidence le caractère infinitésimal des doses de produit qui suffisent pour perturber le système de repères des insectes, avec pour point final la mort, parfois en tas, mettant à mal le dogme de Paracelse : « C’est la dose qui fait le poison ». Ainsi, les scientifiques des grandes sociétés agrochimiques se sont montrés excellents dans la recherche de moyens d’extermination de la vermine (tiens, l'expression me rappelle quelque chose). Comme disait une publicité pour lessive il y a quelques décennies : « Touti rikiki, mais maouss costaud ! ».

Le plus étonnant, c’est que le monde fait aujourd’hui mine de s’étonner, et même de se scandaliser (enfin, pas trop quand même) du fait qu’un insecticide accomplisse la tâche pour laquelle il a été fabriqué : tuer les insectes. Il faut savoir ce qu’on veut.

Ce qui me met dans une colère noire, à la lecture du livre de Foucart, c’est d’abord le cynisme des firmes et des « scientifiques » à leur service face aux effets dévastateurs de leurs produits. Le plus scandaleux, c’est l’aplomb avec lequel, non seulement elles mentent, mais se débrouillent par-dessus le marché pour donner à leurs mensonges l’air, le parfum et le goût de la vérité. Le culot des chimistes de l'agriculture va jusqu'à financer généreusement des organisations de défense de l'environnement (p.264). 

Ce qui me met aussi en colère, ce sont les trésors de patience, de méthode, de recherche, d’argumentation qu’est obligé de dépenser Stéphane Foucart, à la suite des scientifiques réellement attachés à la manifestation de la vérité, pour démonter le mécanisme des « vérités alternatives » que voudrait imposer l’industrie agrochimique et pour défaire minutieusement les nœuds dont elle a embrouillé l’approche du problème.

J'enrage des précautions de Sioux que Foucart est obligé de prendre pour n'être pas pris en flagrant délit d'erreur, de négligence ou d'oubli par des bandits sans scrupule. Quelle énergie gaspillée dans le démêlage des écheveaux emberlificotés à dessein et à plaisir par les firmes industrielles !!! Les premiers abusés, bien sûr, c’est le public en général, mais aussi, pas loin derrière, les décideurs en dernière instance, pour le coup supposés s’être fait une opinion sur des bases solides avant d'apposer leur signature au bas d'un décret.

Les criminels ont développé pour cela des stratégies qui ont quelque chose de diabolique. La première est d’admettre que leurs produits ont peut-être des effets néfastes, mais de noyer cette cause possible dans un océan d’autres causes éventuelles (« causalités alternatives »). Je n'énumère pas, mais les chimistes ont en particulier désigné à la vindicte les ravages que fait dans les ruches une bestiole nommée « varroa », parasite effectivement peu sympathique, mais dont les dégâts sont loin de suffire à expliquer l’ampleur du désastre. Cela s'appelle "faire diversion".

La deuxième stratégie est tout aussi maligne. Elle consiste à constater, comme tout le monde, qu’il y a un problème, mais qu’en l’état actuel des connaissances dûment établies, on n’en sait pas assez pour trancher dans un sens ou dans l’autre. Il faut continuer la recherche, inlassablement (sous-entendu : interminablement). Il faut faire des efforts pour parvenir bientôt (?) à une certitude incontestable.

Encore un gros mensonge : les malfaiteurs s’efforcent en réalité, dans des articles qui ont toutes les apparences du sérieux, d’asséner benoîtement leurs vérités en occultant les dizaines ou les centaines d’études plus récentes parues dans des « revues à comité de lecture » qui prouvent à coup sûr que les coupables sont les néonicotinoïdes : « Les ressources de l'industrie des pesticides, sa capacité à générer de la controverse et à pénétrer le débat public pour créer le doute sont sans limites » (p.283).

La troisième stratégie, qui me met encore plus en rogne, prend pour cible les instances administratives et les cercles de la décision, qui ont en théorie le pouvoir (et le devoir) de réglementer les mises sur le marché, et d’interdire éventuellement tout ce qui est susceptible de nuire à la santé des hommes et à la qualité de leurs aliments et de leur environnement. Le seul message des industriels : entretenir le doute (voir Naomi Oreskes et Erik Conway, Les Marchands de doute, Le Pommier, 2012, commenté ici même en février 2012 ; à noter que, sauf erreur de ma part, Foucart ne mentionne nulle part ce livre important : c'est bizarre). Rien n'est sûr, faut voir, ptêt ben qu'oui, p'têt ben qu'non.

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Administrateurs et politiciens sont obligés, pour les questions où ils sont incompétents, de s’en remettre à des connaisseurs, des professionnels, des spécialistes, bref, des experts. L’essentiel se passe alors au sein de comités (commissions, agences, cellules, etc.) chargés de rassembler une documentation complète et des informations sûres, puis de transmettre aux autorités le dossier, assorti d’un avis supposé autorisé. L'art des industriels consiste ici à introduire leurs affidés dans les instances officielles pour orienter les décisions. A cet égard, ils sont d'une remarquable efficacité.

Car il se passe quelque chose d’étrange dans la circulation des personnes qui composent ce comité : on appelle ça les « portes tournantes ». Telle spécialiste (le nom importe peu) reconnue par tous ses pairs dans sa discipline, après avoir travaillé pour telle grande firme, est désignée pour diriger le comité en question. avant de continuer sa belle carrière au sein d'une autre multinationale qui produit les insecticides en question. Comme par hasard, le rapport rendu au commanditaire n’est pas défavorable aux « néonics ». Que croyez-vous qu’il arrive ? L’interdiction attendra. Comment qu'on torde la chose, cela s'appelle être juge et partie (ou "conflit d'intérêts", ou "manger à deux râteliers" si vous voulez).

L'interdiction attendra d’autant plus longtemps que le comité en question suggère de « continuer la recherche ». On n’en sait jamais assez, n’est-ce pas. « More research », voilà une litanie qui permet aux industriels de la chimie agricole de gagner de précieuses années et de diffuser en abondance leurs produits de par le monde, quitte à rendre leur usage irréversible.

Dernier argument des chimistes : réfuter les expériences des scientifiques extérieurs aux entreprises sur les effets de leurs produits, au motif qu’elles se déroulent à l’abri des conditions réelles, derrière les murs des laboratoires, et non « en plein champ ». Or, et Foucart le sait, c’est là que le bât blesse. Comment en effet conduire un protocole expérimental en toute rigueur dans un environnement où abondent les interactions, les facteurs adventices, les données inanalysables ? C’est horriblement difficile : « "obtenir des preuves en situation réelle" signifie en réalité, bien souvent, "ne pas pouvoir obtenir de preuves" » (p.239).

Moi, je connais le seul moyen de contrer cette stratégie, mais je sais aussi qu’il est totalement utopique : ce serait d’inverser la charge de la preuve. Exiger des marchands de poisons qu’ils démontrent scientifiquement, avant de les mettre sur le marché, l’innocuité de leurs substances pour les populations, pour les sols, pour les insectes pollinisateurs – et pour les oiseaux. Ce n’est pas pour demain la veille. Et pourtant, il est incompréhensible qu'il soit plus facile de faire circuler dans la nature 100.000 (cent mille !!!) molécules chimiques que d'en interdire quelques-unes (projet REACH savamment torpillé).

Vous avez dit "Oiseaux" ? Après avoir méticuleusement exploré les raisons pour lesquelles les pare-brise de nos voitures sont encore transparents après des centaines de kilomètres, Stéphane Foucart complète le tableau avec un aperçu sur la conséquence logique de la disparition des insectes : la disparition des oiseaux. Cette conséquence est tellement évidente (les oiseaux de nos campagnes se nourrissent pour une bonne part d’insectes et de graines) qu’on devrait pouvoir se passer de la décrire. Mais les dégâts sont réels, et prouvés : l'assassin de la vie n'est pas un individu ou une entreprise, fût-elle de dimension mondiale. C'est un système : celui sur la base duquel tout notre mode de vie s'est édifié (pour faire court : industrialisation de tout).

Un espoir cependant. Certaines machines administratives sont particulièrement lourdes à mouvoir. Tout ce qui est institutionnel est, on l'a vu, susceptible d'être infiltré par des agents de l'agro-industrie. C'est pour contourner l'obstacle qu'un groupe de volontaires se met en place en 2010 : le Task Force on Systemic Pesticides, TFSP. D'abord une dizaine, le collectif s'étoffe, se structure et se propose d'inventorier tout le savoir sûr accumulé sur les néonicotinoïdes.

Deux personnes seulement connaissent la liste des membres : tout le monde sait la puissance de feu, d'intimidation, voire de terreur de l'industrie : « L'ampleur de l'influence des firmes sur les organismes de recherche ou d'expertise, nationaux ou internationaux, voire sur les grandes ONG de conservation de la nature, donne toute sa valeur à la TFSP » (p.268). Ces travaux (qu'il faut bien qualifier de militants, tant ils se déroulent en milieu hostile, pour ne pas dire guerrier : il faut avoir le courage bien accroché), quand ils sont publiés, suscitent des levées de boucliers, des accusations,  des insinuations, des manœuvres douteuses, des campagnes malveillantes. On voit clairement qui est aux manettes.

Je le disais, le livre de Stéphane Foucart est un acte d'accusation. L'essai est irréfutable : sur les effets des "néonics", sur l'hallucinante guerre livrée par les firmes agrochimiques à la vérité scientifique et à la vie sur terre, sur l'exténuante lutte des gens honnêtes pour donner force de loi à la vérité scientifique, l'accumulation des données factuelles est telle qu'il est impossible de douter.

Et tout ça pour quel bénéfice agricole en fin de compte ? Le titre du dernier chapitre le laisse entrevoir : "Un mal inutile" (on est loin du petit conte scabreux de Voltaire : Un Petit mal pour un grand bien).

L'incroyable, l'inadmissible, le scandaleux, c'est que nous voilà un quart de siècle (1994) après les premières alertes sur les néonicotinoïdes par des apiculteurs français, et qu'une foule de décideurs en sont encore à pinailler sur les solutions, et même sur le diagnostic. Combien de claques faudra-t-il leur envoyer dans la figure avant qu'ils consentent à montrer un peu de courage ? Comment faire rendre gorge à des ennemis du genre humain qui ont fait des paysans des complices de leur crime ?

Je serais Greta Thunberg, j'aurais des sanglots dans la voix, et ça me ferait pleurer en public à la tribune de l'ONU. Bon, peut-être qu'elle devrait, mais étant au four du réchauffement climatique, elle ne peut pas être aussi au moulin de l'empoisonnement chimique. Il se trouve, heureusement, que je ne suis pas cette détestable comédienne (elle ose lancer : « How dare you ? You have stolen my dreams ! », et puis quoi encore ? On croit rêver.) qui se fait applaudir par les gens qu'elle vient d'accuser. 

Avec mon optimisme légendaire, je me mets dans la peau de M. Monsanto-Bayer-Syngenta, et je pose la question stalinoïde et stalinoïforme : « Stéphane Foucart, combien de divisions ? ».

J'ai, hélas, la réponse.

Voilà ce que je dis, moi.

Note 1 : sur la prévision (qui n'est pas une prédiction) de la manifestation de l'effet de serre du fait des activités humaines, voir les terribles pages 19 et suivantes de Stéphane Foucart : « Dans les années 1980, toute la connaissance sur le réchauffement n'était certes pas réunie. Mais toute la connaissance nécessaire pour agir était là » (p.20). « L'échec de la lutte contre le changement climatique, c'est l'échec d'une médecine qui craint plus l'erreur de diagnostic que la mort du patient » p.22).

Note 2 : sur le programme du livre : « ... les firmes agrochimiques exercent aujourd'hui, directement ou non, une influence sur le financement de la recherche, sur l'expertise, sur la construction des normes réglementaires, sur la structuration du savoir au sein de sociétés savantes, des universités et des organismes de recherche publics. Et même sur les organismes de défense de la nature » (p. 25). On est tout de suite fixé, même si certaines turpitudes (c'est tout le contenu du livre) dépassent l'entendement.

samedi, 05 octobre 2019

LE GÉNIE DE CABU

Cabu est mort en 2015, en pleine possession de ses facultés.

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Cabu, immortalisé par son fils Mano.

Chirac est mort en 2019, et certains susurrent qu'il était gaga. Cela n'empêche pas que tout le monde y est allé de sa larme et de son anecdote personnelle sur le cercueil de celui qui est désormais désigné par les sondages comme étant le meilleur président qu'ait eu la V° République (énormité proférée par le gloubiboulga qu'on appelle "opinion publique"). Tous ces refrains ne font que reprendre la musique dont Georges Brassens avait enrobé ces paroles définitives :

« Il est toujours joli, le temps passé,

Une fois qu'ils ont cassé leur pi-ipe,

On pardonne à tous ceux qui nous ont offensé,

Les morts sont tous des braves ty-ypes ».

On a moins entendu rappeler le slogan que portaient les banderoles dans les rues de France après le 21 avril 2002 : « Plutôt l'escroc que le facho ». Les électeurs ne voulaient certes pas de Jean-Marie Le Pen, mais ils ne se faisaient aucune illusion sur les qualités morales intrinsèques de l'homme qui lui était opposé. Résultat : 82% ! Tous les bons vivants auraient aimé se retrouver à table avec Chirac, et tout le monde se souvient de sa poignée de main, généreuse et franche, quelles que fussent les circonstances.

Tout le monde (ou presque) a oublié le reste. Est-ce que c'était Chirac, l'histoire de la chasse d'eau qu'on tirait chaque fois qu'on ouvrait le coffre-fort pour en sortir des billets de banque ? Je ne sais plus, mais on pourrait aussi parler du château de Bity et de sa restauration complète, qui n'avait pas coûté trop cher au couple Chirac.

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Tiens, à propos de poignée de main (et le regard lourd de sous-entendus que Cabu a fait à la vache !).

Heureusement, tout le monde n'a pas la mémoire sélective, et Le Canard enchaîné ne s'est pas fait faute, le mercredi 2 octobre, de rappeler quelques épisodes qui ont accompagné les quarante ans de "vie politique" de ce "dernier grand fauve", comme certains anciens adversaires ont consenti à le qualifier devant les micros, pour mieux disqualifier la profession de politicien. Et pour rendre cet "hommage", le Canard a donné avec raison la place d'honneur à Cabu. Tous les dessins (sauf un) de la page 4 sont signés Cabu. Heureusement qu'il y a le Canard pour se souvenir de Cabu et de toutes les faces cachées de Chirac, que le dessinateur adorait croquer et mettre au premier plan.

Cabu est mort il y aura bientôt cinq ans. Il n'a pas été remplacé. Nul n'a hérité son trait virtuose qui savait saisir un geste, dessiner un visage, synthétiser une situation, ni son regard souvent féroce, qui atteignait la cible au cœur. Quelques-uns seulement savent, comme lui, faire rire au sujet de réalités (à commencer par les fripouilleries impunies) plutôt faites pour susciter la rage.

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Inutile de faire l'éloge de Cabu : je ne me console pas de sa perte. Quelques dessinateurs s'efforcent de lui emboîter le pas et de porter la plume dans la plaie. La plupart collaborent précisément au Canard enchaîné : Pétillon, Aurel, Lefred-Thouron, Dutreix, Diego Aranega, l'indétrônable Escaro, Delambre, Wozniak, Kerleroux, Kiro, plusieurs autres. Dutreix, après l'attentat, avait donné un dessin extraordinaire (Cabu est le plus chevelu de l'équipe).

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Le Canard enchaîné est le dernier refuge du dessin de presse et de la satire (le New York Times vient de les bannir de ses pages, à cause de la "political correctness"). Je compte pour pas grand-chose le pauvre dessin de une que Plantu livre laborieusement au journal Le Monde : il est tellement tenu par la "ligne éditoriale" que ses dents (s'il en a) sont limées à ras. Qui pourrait dire quelle "ligne éditoriale" Cabu avait décidé de suivre, en dehors de la sienne propre ?

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Quant à Charlie Hebdo, je ne l'achète plus depuis très longtemps, déserté qu'il est par les dessinateurs de talent, je veux dire envahi qu'il est par des tâcherons qui ne savent plus faire rire et qui ne connaissent plus que le coup de poing graphique, la brutalité dessinée, la force hargneuse. Cabu, lui, frappait fort, mais ajoutait une règle impérative à l'exigence de percussion : faire rire. La plupart du temps, au kiosque, le mercredi, je jette un regard désolé sur la couverture de Charlie-Hebdo, et je passe mon chemin : trop laide. Des talents y sont-ils maintenant revenus ? Peut-être devrais-je l'ouvrir de temps en temps, qui sait ?

Le Canard enchaîné, par bonheur, entretient la flamme du souvenir de son soldat bien connu, Cabu, en couronnant ses pages intérieures d'une drôle de guirlande : son trombinoscope politique (j'ai compté 41 bobines : il y a des redites). Car Cabu a passé de très longues années à portraiturer la classe politique française, sans lui faire aucun cadeau : il n'y a qu'à puiser et, mis à part quelques éphémères feux de paille politiques trop vite passés à la trappe pour laisser le souvenir de leur trombine, on reconnaît au premier coup d’œil les pipes de tir forain que Cabu ajustait sous sa plume. Je ne remercierai jamais assez Le Canard enchaîné de cette fidélité à un de ses piliers, tragiquement effondré.

Chirac était indéniablement un de ses favoris, mais il y en avait d'autres, immédiatement reconnaissables, et dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. J'adore le sournois sinusoïdal de son curé faux-jeton, qu'il n'y a pas besoin de nommer. C'est mon préféré : combien de traits pour faire éclater la tartuferie de l'individu (vous savez : « La route est droite, mais la pente est forte ») ?

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Et tout le monde connaît cet objet de vindicte qu'il avait en horreur.

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Mais on trouve, bien des années avant la mort de Chirac, qui n'était alors que maire de Paris et député, des images très différentes du bonhomme, qui n'était pas encore le vieillard débonnaire et consensuel (« usé, fatigué », disait Jospin en 2002, il avait raison) que les Français élisent désormais par sondage (dessin paru dans La France des beaufs, Editions du Square, 1979).

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Quarante ans avant, on le reconnaît déjà infailliblement, mais comme spécialiste de l'aboiement et du coup de menton, qu'il n'avait pas encore quadruple, et avec de grandes canines pour la conquête du pouvoir qui lui manquait. Élu président de la République, il a eu douze ans pour digérer sa satisfaction satisfaite.

Cabu l'a suivi attentivement.

Merde à Chirac ! Merci au Canard enchaîné ! Gloire à Cabu !

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 04 septembre 2019

TRIOMPHE DE L'ECOLOGIE MARCHANDE

Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. (Chirac)

L'Amazonie est sur tous les écrans : pas la peine d'insister.

Ci-dessous, le triomphe de l'écologie marchande : un choc !

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Ce paysage d'hallucination figure sur une photo parue dans Le Monde daté 3 septembre 2019 : on aperçoit encore le village de Calahonda (Andalousie), mais « encerclé par des centaines de serres, allouées notamment à la culture de tomates » (c'est la légende de l'image).

Dans la province d'Almeria, ce sont 3.300 hectares de terres qui sont ainsi couverts par les bâches des serres où sont produites les "tomates bio" qu'on trouve toute l'année chez « Carrefour, Auchan, Leclerc, Lidl, Monoprix, Franprix » (je cite). Mais il faut dire que la surface en "bio" ne fait que 10% de la surface bâchée totale : imaginez, pour le coup, un vrai océan de plastique, et plus un seul mètre-carré de vraie terre à l'air libre.

Ce sont 108.566 tonnes de "bio" qui sont sorties des serres d'Almeria en 2018. Et je ne parle pas des conditions de travail des esclaves généralement noirs ou le plus souvent marocains qui œuvrent dans ces lieux inhospitaliers. Le journaliste (Stéphane Mandard) n'a pas pu en savoir plus sur ce point. Et je ne parle pas des caravanes de camions qu'il faut pour acheminer cette production vers l'Europe friande de légumes espagnols. Vive le bilan carbone ! Vive le commerce ! Vive la nature ! Vive l'écologie ! Vive le "bio" !

Ci-dessous, par contraste violent, l'écologie citoyenne, croix-roussienne et totalement imaginaire : les gars qui font ça doivent rêver d'une ZAD encore plus intraitable que Notre-Dame-des-Landes. Ils ont inventé la "révolte en pot de fleur". Certains appellent ça "manifester". Leur slogan : « On-vaa-gaa-gner ! On-vaa-gaa-gner ! ».

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Photo prise le 3 septembre 2019, rue de Cuire : la dérision à l'état le plus pur.

La photo du haut nous confirme que, quand les mots s'affranchissent de toute réalité (c'est en bas), la réalité cavale déjà, loin devant et à toute blinde, inarrêtable. Même Gilles Boeuf, dans ses prêches inspirés, ne cesse de répéter "il faut, il faut, il faut".

La vraie, la seule question est :

COMMENT ON FAIT ?

Qui peut encore y croire ?